Europe : vers un nouveau contrat social et écologique

Du 3 au 5 février dernier, j’ai participé, en tant que président de la Confédération européenne des syndicats, à une conférence au titre particulièrement évocateur : « Vers un nouveau contrat social et écologique ». L’Institut syndical européen, organisateur de ces trois jours de réflexion, m’a demandé d’intervenir sur le besoin de changement de paradigme pour atteindre cet objectif. Voici le message que j’ai souhaité délivrer aux responsables syndicaux européens présents en visio.

 "Nous traversons une conjugaison de crises d’une profondeur inégalée : une crise sanitaire, une crise économique, une crise sociale, une crise écologique, une crise démocratique.

La crise sanitaire a servi de révélateur. Elle a mis en lumière l’interdépendance des individus, des États, les fragilités de nos économies qui ont besoin de soutien, des inégalités criantes accentuées par la crise qui risquent de devenir intolérables (…). Tout cela se passe alors que l’urgence climatique ne peut plus attendre (plus que 9 ans avant l’échéance intermédiaire de 2030 mais nous sommes dans des trajectoires bien au-dessus des 1,5° de l’accord de Paris) et qu’elle n’est pas sans lien avec la crise sanitaire que nous traversons.

Mais la crise a aussi mis en lumière la capacité de l’Union européenne et de ses institutions à faire face et la pertinence d’un modèle social qui se veut universel

La crise du Covid 19 a bouleversé nos repères collectifs, nous obligeant à penser autrement, à prendre conscience de certaines limites de notre modèle économique et social. C’est une période d’émulation collective, où certaines barrières ou conventions peuvent tomber, ouvrant de nouvelles perspectives. C’est le cas par exemple de l’action de la Banque centrale européenne, dont les nouvelles capacités d’action pourraient à terme être se mettre au service de la transition écologique ou du plan de relance européen.

L’intervention massive des États dans la sphère économique constitue également une opportunité pour orienter la stratégie des acteurs économiques dans le sens d’une accélération de la transition écologique, par une logique de contreparties.

Enfin, la crise nous apprend sur nous-mêmes (…), sur notre besoin de solidarité au regard de nos interdépendances (solidarité entre individus, entre Etats), sur notre capacité à hiérarchiser entre nos valeurs, à prendre des mesures inédites, parfois contraires à nos exigences économiques de court terme, sur la nécessité d’une plus grande résilience de nos économies, à laquelle la transition écologique concourt pleinement…

La crise climatique en cours requiert anticipation, mesures préventives (plutôt que curatives) et implication de chacun. C’est précisément ce dont nous avons besoin dans la crise du Covid 19. Il y aura une prise de conscience collective, et peut-être un changement profond de nos sociétés.

Ces multiples crises nous donnent donc l’opportunité de fixer un nouvel horizon pour l’Europe : l’anticipation, l’innovation, la coopération, la solidarité au service de notre résilience. On ne peut pas traiter les crises en silos, compte tenu de leur imbrication. C’est d’une approche systémique dont nous avons besoin, à tous les niveaux, pour prendre à bras-le-corps la complexité des défis qui nous sont posés et trouver des solutions qui peuvent donner à l’Europe une longueur d’avance.

Pour cela, plusieurs prérequis :

  •  La méthode : du dialogue avant toute chose

Une des clés de sortie de ces crises est le dialogue entre les différentes parties prenantes, la capacité à co-construire. Les représentants des travailleurs doivent être entendus au même titre que les acteurs économiques (…). Plus largement, nous avons besoin d’entendre la société civile organisée – c’est une condition de la réussite de la relance et c’est un impératif démocratique. C’est ce que la CFDT défend en France et met en pratique avec le Pacte du pouvoir de vivre, alliance inédite de 62 organisations de la société civile qui visent à porter un projet de société conciliant la nécessaire performance économique, la justice sociale, l’urgence écologique et l’impératif démocratique.

  • Des indicateurs pour un nouveau paradigme

Nous avons longtemps piloté l’Europe sur la base de trois critères – le déficit, la dette, l’inflation –, tous assis sur le PIB. Mais le PIB ne suffit pas à dire la complexité du monde. Pour renouer avec le progrès et donc l’adhésion au projet européen, nous devons être capables de mesurer ce qui nous fait progresser. Nous devons :

- nous doter d’indicateurs de développement durable qui nous servent de boussole : éducation, bien-être, pauvreté, biodiversité, gaz à effet de serre, état de santé de la population disent autant, voire plus, de nos richesses que le PIB.

- nous doter d’une taxonomie sociale ambitieuse, aux côtés de la taxonomie verte indispensable. C’est en cours et c’est une bonne chose.

- proposer des normes comptables qui permettent de prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux dans la conduite de nos entreprises, de nos administrations, de nos États.

Nos indicateurs doivent traduire la réelle utilité sociale et écologique des investissements dans l’avenir. C’est aussi ainsi que nous serons performants économiquement.

  • Une Europe des valeurs à hauteur de femmes et d’hommes

Nous traversons une période de turbulences inédite depuis la Seconde Guerre mondiale avec des risques majeurs. Cela suppose de garder le cap et le sens.

Le cap, ce sont les valeurs de l’UE. On ne les rappelle sans doute pas assez, même si les débats autour du plan de relance ont permis de les remettre sur le devant de la scène. Respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, État de droit, respect des droits de l’homme, y compris des droits des minorités, pluralisme, non-discrimination, tolérance, justice, solidarité et égalité entre les femmes et les hommes. Ces valeurs sont constitutives du modèle européen, nous devons les faire vivre au quotidien.

Le sens, c’est de remettre le projet européen à hauteur de femmes et d’hommes en faisant des politiques européennes avec et pour les citoyens d’Europe. C’est un enjeu de performance économique, de justice sociale, d’avenir démocratique et une clé de la transition écologique. Une Europe qui régule (Gafa et fiscalité), qui protège (Cf. salaire minimum, socle européen des droits sociaux, etc.), qui innove (transition écologique, santé, etc.)

Durant la crise, l’Union européenne a montré sa capacité à être à la hauteur : nous ne devons pas nous relâcher dans cette ambition ! Ce ne sera pas toujours facile, mais il est de notre responsabilité de le faire. Osons engager un projet européen économique, social, écologique et démocratique ambitieux !" 

Ute Meyenberg

Membre de la Commission des sanctions de l’AMF Membre de la Commission des normes sur la durabilité de l’Autorité des normes comptables Chargée de mission CFDT Cadres, Elue CFDT au CSE CACIB

4 ans

Très bonnes interventions !

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