Le manque de transparence : cancer silencieux des organisations
Cela fait des années que je marche dans les organisations. J’y entre par des portes différentes : la formation, le coaching, l’accompagnement stratégique. J’y rencontre des femmes, des hommes, des collectifs en mouvement. J’écoute ce qui se dit. Mais surtout, je ressens ce qui ne se dit pas. Et ce que je perçois de plus en plus, c’est une forme de fatigue profonde. Une usure du lien. Une perte de repères. Pas spectaculaire. Mais constante. Un fond diffus d’inconfort, de résignation, d’adaptation silencieuse.
On parle souvent de complexité, d’agilité, de transformation. Mais il y a un mot qu’on prononce moins. Un mot qui dérange. Et pourtant, c’est lui que je vois à l’œuvre, silencieusement, dans tant de structures : le manque de transparence.
Ce n’est pas une question de communication interne mal ficelée. Ce n’est pas non plus un simple défaut de stratégie. C’est plus profond. C’est un climat, une culture, un réflexe. Et c’est ce réflexe qui abîme le lien de confiance, la dynamique collective, la capacité à traverser ensemble les zones de turbulence.
Alors aujourd’hui, je pose une image forte. Peut-être brutale. Mais nécessaire. Parce qu’elle dit quelque chose que beaucoup ressentent sans le formuler. Et peut-être que dans ce miroir-là, certains se reconnaîtront. Pas pour être accusés. Mais pour pouvoir, enfin, choisir autrement.
L’ombre qui gagne
Il y a des organisations où le silence est devenu une stratégie. Où la parole se fait rare, filtrée, contrôlée. On y parle de transparence dans les valeurs affichées, mais elle se perd dans les étages. On informe sans associer. On décide sans exposer. On gouverne à huis clos.
Dans ces entreprises-là, la transparence n’est pas une habitude. C’est une exception. Et ce qui s’installe alors, ce n’est pas la prudence. C’est l’obscurité. Ce climat d’incertitude feutrée, où chacun devine sans voir. Ce brouillard qui dérègle les repères, altère les liens et installe une tension permanente.
Les équipes s’adaptent, bien sûr. Elles interprètent, supposent, spéculent… jusqu’à se refermer sur elles-mêmes. Le silence devient une norme. La rumeur, un mode d’information. L’intuition remplace la clarté.
De l’autre côté, les dirigeants, souvent sincères, pensent protéger. Ils prennent sur eux. Ils filtrent. Ils attendent le bon moment. Et sans s’en rendre compte, ils s’isolent. Mais une organisation n’est pas un organigramme. C’est un corps vivant. Et ce corps, privé de circulation fluide entre ses parties, commence à dysfonctionner.
Une image pour dire ce qui est tu
Imagine un corps humain. Un organe qui cesse de dialoguer avec les autres. Qui se replie, agit en secret. Les autres organes compensent, s’épuisent, se dérèglent. Le système entier se désorganise. C’est cela, un cancer.
Et c’est exactement ce que provoque le manque de transparence quand il devient structurel : une cellule – ici, la direction – qui cesse de faire système avec le reste du corps.
Ce n’est pas une faute. C’est souvent un réflexe. Une peur. Une tentative de contrôle. Une volonté de bien faire qui devient une mécanique de rétention. Mais ce repli finit par contaminer l’ensemble. Il engendre de la défiance, il fige les dynamiques, il fracture l’intelligence collective.
Le silence prolongé n’est pas un rempart. C’est un signal de désorganisation.
Le cœur du sujet : la confiance
Au fond, tout ramène à cela. Le manque de transparence est toujours l’expression d’un manque de confiance. Peur que l’équipe ne comprenne pas. Peur qu’elle sur-réagisse. Peur de ne pas savoir répondre. Ou pire, peur de ce que cela pourrait révéler sur la structure elle-même.
Alors on garde pour soi. On retient. On temporise. On maquille. Mais la confiance ne se mérite pas en la suspendant. Elle ne se gagne pas en la dosant. La confiance se donne. Et c’est ainsi qu’elle s’enracine.
C’est un pari. Une posture. Et un miroir : ce que je crois de l’autre révèle ce que je crois de moi. Et parce qu’on choisit d’informer, même partiellement, une équipe se sent digne de recevoir. C’est cette dignité qui active l’engagement.
La réponse : solidarité, pas contrôle
Quand la transparence recule, le réflexe dominant est souvent le contrôle. Mais c’est une impasse. La véritable réponse, c’est la solidarité. Pas comme vertu morale. Comme stratégie de survie collective.
Quand l’environnement devient instable, le besoin n’est pas d’un chef plus fort. Mais d’un collectif plus solidaire. Un leader ne peut pas tout porter. Mais il peut dire : « Voilà ce que je sais. Voilà ce que je ne sais pas. Et j’ai besoin de vous. »
Non pour rassurer. Mais pour inclure. Pour créer un espace où l’incertitude devient mobilisable, traversable, respirable.
Et ce n’est pas naïf. C’est profondément stratégique. Car une équipe qui sent qu’on lui fait confiance, même dans l’incertitude, déploie une intelligence bien supérieure à n’importe quelle cellule de crise verrouillée.
Je me souviens d’un comité de direction, il y a quelques mois. Une entreprise dans la tourmente, en pleine restructuration. Le directeur général entre, le visage fermé. Tout le monde attend des annonces. Il s’installe, regarde son équipe, et dit :
« Je n’ai pas encore toutes les réponses. Et ce que je vais dire peut être inconfortable. Mais je vous dois la vérité. »
Il a posé les faits. Il a nommé les doutes. Il a reconnu ses propres incertitudes. Et il a terminé par :
« Si vous êtes là, ce n’est pas pour exécuter. C’est pour penser avec moi. »
Le silence a duré longtemps. Puis une manager a relevé la tête. Et elle a dit :
« Merci. Là, je peux travailler. »
Ce jour-là, le cap n’a pas changé. Mais l’énergie, oui. Le lien, oui. L’envie, oui. C’était simple. Brut. Et terriblement puissant.
Ce qui est terrible
Oui, l’image du cancer est forte. Elle peut heurter. Je la pose en conscience. Non pour choquer. Mais pour donner à voir l’invisible. Et parce qu’elle est, pour beaucoup, le mot juste pour ce qu’ils vivent.
Terrible, c’est de devoir mobiliser une équipe sans savoir ce qu’on peut dire. Terrible, c’est de pressentir qu’il se passe des choses… mais d’être condamné au silence. Terrible, c’est de devoir faire lien sans cadre, de porter sans soutien, d’incarner sans filet. Terrible, c’est de vouloir bien faire, et de n’avoir trouvé que le silence comme bouclier.
Le mot terrible ne vient pas de l’image. Il vient du réel.
Choisir un autre chemin
Ce que je propose ici, ce n’est pas une accusation. C’est une invitation. Une invitation à sortir de l’isolement. À choisir le lien. À faire le pari de la confiance.
Mais surtout, à faire le choix du soutien. Quand la transparence manque, quand la confiance vacille, la solidarité devient un acte politique. Elle est la seule force capable de maintenir le cap sans se refermer.
La transparence, ce n’est pas tout dire. C’est dire assez pour faire ensemble.
Et peut-être que le vrai leadership aujourd’hui, c’est justement cela : éclairer sans aveugler. Dire sans effondrer. Traverser avec, plutôt que malgré.
Alors oui, c’est terrible. Mais ce qui le serait encore plus, ce serait de continuer à faire comme si ça ne l’était pas.
Et si cette lucidité-là, ce regard que nous portons ensemble sur l’état réel de nos organisations, devenait le point de départ d’une autre façon de diriger ? D’une autre manière d’être en lien ?
Pas une posture. Une décision. Un choix de leadership. À hauteur d’homme.
Et à hauteur d’équipe.
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6 moisL'incapacité de réelle transparence est plus qu'une lacune dans les situations délicates ou de danger à venir. Elle n'est pas simple à envisager quand l'historique va jusqu'à mettre en péril l'avenir des organisations et des entreprises. Les dirigeants sont en cause et même s'ils sont a priori interchangeables redresser la barre exige une nouvelle solidité du remplaçant. Préparer un revirement n'est pas alors chose facile... à concevoir... pour le préparer.
Le silence 🙊 peut être tout aussi violent qu'un mot...surtout qu'il ne laisse aucune place au #désaccord, à l'échange de perceptions 🔎 , à la compréhension 💡 ...et libre champ aux interprétations, aux suppositions 🤔
Coach Professionnel certifié, Superviseur ESQA #Alignement du #Dirigeant autour des valeurs et #Leadership #Cohérence enjeux stratégiques et objectifs opérationnels et Performance d'équipe #Réconciliation ind & collectif
6 moisMerci Vincent FAVRIE. Dans les moments de chaos, de transformations, donc de résistances et de peur, ce qui peut aider à rendre intelligible ce qui semble intuitivement, incongru, mal adapté, décalé, ...est positif/utile. Mettre des mots permet d'appréhender, apprivoiser, donc réduire le stress...indispensable pour garder santé mentale et pouvoir d'agir (réf la salutogénèse). Ce sont vos mots, adressés à nous, ou ceux du Leader adressés à son équipe, idem. La place du Leader est si particulière, des spécificités dans le faire/être qui peuvent devenir des paradoxes/ambiguités : - il assure le lien entre le dedans et le dehors du système : tout dire et être transparent ou taire pour protéger ? - il gère le cap et donne le sens à toute son organisation : être ferme et résister aux pressions pour donner visibilité et confiance ou être agile pour s'adapter et "gérer la complexité" ? - in fine c'est lui qui est responsable : prendre sur soi et assumer pour paraître/se sentir fort ou s'ouvrir, échanger pour partager et ne pas être directif ...etc. Un autre mot pour votre réflexion: #courage. Où est il dans les organisations où la peur de se tromper, déplaire, "mal" faire est partout ? Dire, faire, si on a peur ? Etre solidaire ?
Sans blabla ni powerpoint, je mets un cheval entre vos équipes et leurs limites pour libérer leur potentiel.
6 moisMerci Vincent FAVRIE de mettre en lumière ce sujet si crucial dans nos organisations : le manque de transparence permet d'exercer une sorte de pouvoir, plutôt mal sain, qui ne fonctionne vraiment pas bien à long terme et n'attire plus vraiment (devrais je dire rebute complètement?!). Un management d'un autre temps?
Je me permets deux petits commentaires complémentaires me semble-t-il. Le premier pour dire que vous soulignez aussi en filigrane (appuyé !) de votre propos l'incongruence entre le discours et les actes et donc la confusion que cela entraîne et qui relève parfois de mécanismes proches de la double contrainte. Et cette confusion, ce flou est pire qu'une non transparence certes potentiellement violente mais assumée et contre laquelle on peut se positionner. Le second a trait à une potentielle distinction entre transparence et clarté. Qu'est-ce qui manque le plus : la transparence ou la clarté ?