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Un Mal Qui Répand La Terreur

Transféré par

Hanae Laroussi
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© Attribution Non-Commercial (BY-NC)
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
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Un mal qui répand la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur


Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitait leur envie,
Ni loups ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie;
Les tourterelles se fuyaient:
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le lion tint conseil, et dit: "Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements:
Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait? Nulle offense;
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut: mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi:
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce.
Est-ce un pêché? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur;
Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire."
Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances
Les moins pardonnables offenses:
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit: "J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net."
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Jean de La Fontaine
Recueil II, livre VII
Les animaux malades de la peste de Jean De La Fontaine

Intro : 
• Fable distrayante, avec une description des circonstances, des pers, une richesse du dialogue. La Fontaine donne
autant d'importance au récit qu'à la morale mais garde une visée satirique. On assiste ici à une démonstration de la loi
sociale : la raison du plus fort. 
• La fable amène une réflexion sur l'injustice à cause de la décision politique qui consiste à trouver un "bouc émissaire"
dont le sacrifice sauvera la société du fléau qui l'accable.

1) Une fable habilement menée :

a. Un Préambule qui rappelle les récits mythologiques tragiques :


• Intrigue évoque tragédie d"Œdipe roi" (Sophocle) : Thèbes ravagée par peste, on recherche le coupable de ce
châtiment divin.
• Épidémie : mal moins fréquent mais redouté, il garde des souvenirs terribles au 17ème. C'est une excellente crise
pour l'observation des relations humaines.
• La peste est définie par deux appositions avant d'être nommée, ce qui crée une attente progressive, pressante en
gradation.
• Registre dramatique : 
- Allitération en r : « répand, terreur, guerre » 
- Hyperbole, vocabulaire violent, rimes masculines (fureur, terreur) : dureté
- Idée du destin, non issue et Ciel ('Mal que le ciel en sa fureur. Inventa pour punir' : Dieu envoi un châtiment aux
Hommes). Achéron connotation enfer, damnation, beaucoup de gens touchés)
- 'les tourterelles se fuyaient : symbole de l'amour'
• Évocation nostalgique (imparfait), d'un temps normal sans peste mais où le loup mange la douce et innocente proie.
Le souvenir annonce le présage qu'on sacrifiera encore l'innocent.

b. Variété, diversité :
• Versification (rimes embrassées et longueurs irrégulières), accélération
• Alternance récit / discours : discours direct aux personnages importants, indirects aux autres
• Différentes tonalités (ironie, tragédie)

c. Des animaux qui font allusion aux Hommes et à leur relation :


- Cadre de la scène : procès tribunal (champ lexical de la justice), intervention : plaidoyer, réquisitoire (Prise de parole
par ordre hiérarchique (du plus puissant au plus faible))
- Pers avec caractères personnels identifiables : 
• Lion : roi, pouvoir, puissant, féroce, habile, intelligent, 'Le lion tint conseil': définit règles du jeu.
• Renard : ruse, flatte le roi, relativise péché du roi en les honorifiant
• Loup : beau parleur ('quelque peu clerc, prouva par sa harangue'), prononce le réquisitoire et accable l'âne pour ne
pas avoir à s'accuser ensuite + insulte = cruauté (discours indirect libre)
• Tigre et Ours : puissance, représente la société aristocratique
• Âne : bêtise, naïveté, honnêteté => douce et innocente proie
• Dans le discours élogieux du renard les moutons sont les représentants du 'bas peuple', profondément méprisé, et
que l'on peut impunément exploiter.

2) La différence d'éloquence du Lion et de l'Ane :

a. La stratégie du Lion : 

Persuader :
• Rappelle le côté tragique/dramatique : affirme son autorité, rappelle qu'il est le représentant de Dieu
• Ton solennel, grave : donne majesté ('Ciel, nos péchés cette infortune, se sacrifie, céleste courroux')
• Ton familier 'Mes chers amis' : se place au même niveau de ses sujets pour les amadouer (en décalage avec sa
noblesse de là on peut le suspecter d'hypocrisie). 
• Jeu avec les pronoms : le 'je' le remet sa place royale : justifie ses propos qu'on ne peut le contredire car c'est le
roi ; le 'nous' lui donne un rôle de porte parole : il agit pour collectivité ; le 'on' donne une vérité générale
• Modalisateurs (° d'adhésion de l'énonciateur à l'énoncé) : 'je crois que, peut-être, je pense', donne sagesse, n'impose
rien pour faire croire que le débat est ouvert.
• Examen de conscience : il donne une image habile, manipulatrice : 'dévoré force mouton même parfois berger' : ses
péchés le rendent cruel, féroce, sans scrupules 
• Exagération amusée. 'Appétit de glouton, force moutons'
• Manie ironie: 'me dévouerai donc/s'il le faut': sous-entend qu'il ne le fera pas et invite les courtisans à s'y opposer.

Convaincre :
• Discours construit logiquement : lg 15 (il expose la situation) lg 20 (il invite les autres) lg 24 (il fait propre
confession) lg 29 (il invite les autres) lg 33. Marqué par des connecteurs
• Avoue lui-même, donne l'exemple pour confession des autres (avec impératifs). 
• Argument d'autorité (lg 21-22) : donne appui a son discours en prenant pour référence un fait historique
• Le dialogue interne à son discours (" Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense. " ). 

b. L'intervention du Renard : Son habileté réside dans le "non-dit"  


• On attend de lui un examen de conscience semblable, mais, en fin courtisan et conforme à la tradition du
personnage, il s'en garde bien. Le renanrd se contente d'une éloge des plus flatteuses au Roi, par des expressions
hyperboliques ('trop bon, scrupule, trop de délicatesse, leur fîtes beaucoup d'honneur'). 
• Sonorités grinçantes entre les assonances de i et les allitérations de s et r (sifflantes et vibrantes), confèrent au
propos plus d'habileté encore.
• Arguments simplistes. il ne dit rien sur lui-même (absence 1ère personne), flatter lui permet de se faire oublier. 

Remarque : "et flatteurs d'applaudir" : infinitif de narration, marque l'empressement des courtisans à suivre la règle du
jeu : ils y ont intérêt !

c. L'échec de l'âne condamné d'avance :


• Par opposition à tous autres animaux cités, l'Âne n'est pas un prédateur. Psychologiquement naïf, il prend au sérieux
le discours du Roi, ignore la règle du jeu des courtisans. Il est honnête, mais un peu ridicule dans son sérieux.
• Sa 1ère faute est de vouloir imiter les grands: "L'âne vint à son tour, et dit:" Il utilise la même structure de
présentation du Lion.
• Mais absence de connecteurs : donc absence d'analyse de la situation, il se contente de raconter les faits d'un
souvenir : naïveté
• Il se rend lui-même coupable (lg 54, d'avoir été tenté par le Diable)
• L'allusion au Diable et le pré de moines (les plus gros propriétaires fonciers de l'époque) ainsi que l'idée de
gourmandise, intensifie sa faute du fait que se soit le Ciel qui se venge, donc c'est lui le coupable
• Ses paroles se déroulent dans climat apparemment serein, ouvert. L'âne, rassuré et naïf, parle franchement.
• La Fontaine ici n'a pas recherché de rupture, mais une harmonie entre le personnage et sa parole. L'âne parle comme
il est, sans masque.
• Surprise : réaction commune et immédiate de la foule: "à ces mots on cria haro". Le bouc émissaire est trouvé,
(même empressement et unanimité qu'au vers 43)

==> Celui qui va gagne, c'est le plus fort : celui qui a tout calculé, analysé, 'celui qui a force d'esprit' et 'pouvoir de
parole'

3) Une scène critique de la justice et du pouvoir :


Si La Fontaine ne s'apitoie guère sur le sort de l'âne, il ironise sur la Cour et les puissants :

a. La justice est évoquée mais c'est davantage une satire des 'jugements de cour' :
• Lexique de la justice et de la religion (« expier, péché »)
• Scène représentant le tribunal (défilé à la barre des animaux)
• Solennité de la scène : vocabulaire hyperbolique, scène grandiose
• Rôle du loup : sorte d'avocat général qui dévoue l'Âne
• Justice du conseil qui ne juge pas le crime mais le rang social
• Injustice est soulignée et contrastée entre l'accumulation des crimes de sang et le crime de l'âne

b. Le fabuliste prend parti par ironie contre la cour aussi :


• Marques de jugement : 'douce et innocente proie' : allusion aux faibles et annonce de la suite pour l'Âne ; 'On n'osa
trop approfondir', 'les moins pardonnables offenses', 'de petits Saints', 'tous les gens querelleurs', jusqu'aux simples
matins' (antithèse)
• 'Sa peccadille (=petit péché, le loup dirait « crime abominable ») fut jugé un cas pendable' : opposition entre sa
faute légère et sa conséquence tranchante ; 'Manger l'herbe d'autrui ! Quel crime abominable' => souligne l'injustice et
sa mort pitoyable
• 'Un loup quelque peu clerc' : le narrateur dit savant pour sous-entendre cruel, ignoble

c. Bilan :
• La Fontaine est clairement contre les puissants et pour les faibles. Sa satyre attaque le fonctionnement de cette cour
à son époque où les puissants s'attribuent tous les droits et n'en reconnaissent aucun aux faibles. 
• Il ironise aussi sur leur hypocrisie, leur fait de feindre de se conformer à la morale, de faire un examen de
conscience, mais qu'ils se dépêchent de s'exonérer ensuite de toute faute ; 
• Raille aussi de la naïveté des petits, qui prennent au sérieux les discours du Roi, de la Cour et ne savent réagir contre
l'injustice.
• L'ironie et les détour par des animaux permettent une protection car seul un destinataire attentif comprend critiques.

Conclusion : 
La Fontaine utilise tous ses talents de conteur. Interventions successives de différents animaux, Lion, Renard puis Âne,
tous représentant d'une classe sociale, constituent pour beaucoup à servir la morale. A la fin de la fable, il y a une
ellipse avant la chute de la moralité : on ne sait si peste va disparaître avec le sacrifice de l'innocent mais qu'est donc
la peste, sinon cette atmosphère empoisonnée de mensonges, de calculs, d'hypocrisies, de flatteries... où seule
l'honnêteté est punie ?

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