La genèse des formes Primaire et collège

Résumé
Pourquoi le zèbre a-t-il des bandes noires sur le dos, le guépard des taches et la girafe des motifs en forme
d’hexagone ? Pourquoi la fleur de tournesol fait-elle apparaître des spirales en son cœur ? Et pourquoi la boue
séchée est-elle parcourue par des fractures qui se croisent à angle droit ? À toutes ces questions, on pourrait
répondre que telle est la nature des choses, mais le scientifique voudra aller plus loin…
 la genèse des formes
Marc Rabaud

Pourquoi le zèbre a-t-il des bandes noires processus que l’on peut alors essayer de
sur le dos, le guépard des taches et la girafe comprendre. Le scientifique qui s’intéresse
des motifs en forme d’hexagone ? Pourquoi à la morphogenèse, c’est-à-dire, justement,
la fleur de tournesol fait-elle apparaître des à l’apparition des formes, est ainsi d’abord
spirales en son cœur ? Et pourquoi la boue motivé par un certain émerveillement mais
séchée est-elle parcourue par des fractures il espère bien, par son travail, approfondir
qui se croisent à angle droit ? À toutes ces ses connaissances et mieux comprendre, in
questions, on pourrait répondre que telle fine, les mécanismes de la nature.
est la nature des choses, mais le scientifique
voudra aller plus loin : classer les formes,
les expliquer, trouver des règles générales La forme des objets
permettant d’en décrire la genèse. à l’équilibre
Pour nous, le terme « forme » s’appliquera Un fil électrique entre deux poteaux, une
à l’enveloppe extérieure d’un objet, la forme goutte d’eau sur une table… voilà des cas
d’une bulle de savon par exemple, ou au que les physiciens comprennent bien car ils
motif d’une surface, comme la robe du suivent une loi physique simple : les formes
zèbre. Nous décrirons quelques exemples à l’équilibre correspondent à une énergie
en utilisant des mathématiques simples minimale. Prenons un premier exemple :
et en profiterons pour évoquer quelques une chaînette formée de maillons articulés.
mécanismes physiques, en particulier les Si l’on tient cette chaînette par une extrémité,
règles de croissance, qui permettent de la force de gravité tire chacun des maillons
comprendre certaines de ces formes, que vers le bas. Ces derniers viennent se placer le
ce soit celles d’équilibre ou celles hors plus loin possible de l’extrémité fixe et le plus
d’équilibre. Dans un second temps, nous bas possible : la chaînette prend une forme
tenterons de classer les formes, ce qui très simple, un segment de droite vertical.
nous conduira à établir quelques analogies Le système se trouve dans l’état d’énergie le
entre le domaine de la physique et celui plus faible possible – tout déplacement d’un
du monde du vivant. L’intérêt d’une telle maillon, forcément vers le haut, coûterait
classification est que, parfois, une similitude de l’énergie. Aucun mouvement ne peut se
des formes peut s’expliquer par une faire spontanément et le système est dit « à
similitude de leur processus d’apparition, l’équilibre ». La droite est ainsi la forme qui

192 La matière
minimise l’énergie de gravité compte tenu Intéressons-nous maintenant non plus à
d’une contrainte : avoir une extrémité fixe. des lignes mais à des surfaces à l’équilibre :
Si, maintenant, nous tenons un bout de la observons par exemple une petite goutte de
chaînette dans chaque main, elle prendra rosée. Elle est sphérique. Pourquoi ? Cette
une forme courbe qui correspondra là encore goutte est constituée de molécules d’eau qui
à une énergie minimale sous l’action de la s’attirent entre elles et se rapprochent donc
gravité. Cette forme se calcule et correspond le plus près possible les unes des autres. La
mathématiquement à une fonction appelée goutte prend alors une forme sphérique, qui
« cosinus hyperbolique ». Tout le monde a est celle présentant le minimum de surface
déjà rencontré un cosinus hyperbolique sur pour un volume donné. Si on la déforme,
le bord d’une route puisque c’est la forme l’élargissement de la surface augmente le
que prennent les fils électriques entre deux nombre de molécules à la surface. Celles-ci
poteaux. comptant moins de voisines que les molécules
a de l’intérieur, l’énergie d’interaction s’élève.
La forme sphérique correspond donc bien à
un minimum d’énergie. On peut invoquer
un phénomène similaire de minimisation
de l’énergie pour expliquer l’allure compacte
des colonies de manchots empereurs sur la
banquise. Ces animaux minimisent ainsi
une énergie particulière : la chaleur. Toute
déformation de la colonie se traduira par des
pertes thermiques supplémentaires car les
manchots stationnant au bord du groupe, qui
perdent plus d’énergie que les autres, seront
b
plus nombreux. Mais revenons à nos gouttes
d’eau. Si nous en observons maintenant d’un

la genèse des formes

peu plus grosses, posées par exemple sur une
toile cirée, la gravité va les aplatir et abaisser
leur centre de gravité. Les plus grosses seront
les plus aplaties et leur hauteur ne dépassera
pas 2 à 3 mm. Cette forme aplatie peut encore
se calculer car elle correspond à une énergie
minimale, compromis entre l’énergie de
surface (qui tend à donner des sphères) et
l’énergie de gravité (qui tend à former des
Formes en labyrinthe. (a) Labyrinthe formé flaques).
entre deux plaques transparentes par un Les membranes de savon sont elles
liquide magnétique (en noir) placé dans un
champ magnétique perpendiculaire aux pla­ aussi des systèmes d’énergie minimale
ques. (b) Détail d’une tête de corail cerveau qui permettent d’observer de belles formes
(Diploria labyrinthiformis).
© Patrick Jean, Muséum d’histoire naturelle de simples. Si l’on plonge une boucle de fil
Nantes de fer quelconque dans une solution d’eau

193
 savonneuse et qu’on la ressort, la membrane mouvement, en croissance, qui ont accès
de savon qui s’y sera accrochée aura la surface à une source d’énergie et la consomment
la plus petite possible. Il faudrait apporter pour se développer ou, simplement,
de l’énergie pour la déformer. Ces surfaces survivre. On parle alors en physique de
dites « minimales » ont toujours fasciné les « systèmes dissipatifs » ou de « systèmes
mathématiciens, car elles sont souvent bien hors d’équilibre ». C’est le cas bien sûr des
difficiles à obtenir par le calcul alors qu’un organismes vivants, mais aussi de nombreux
enfant les construit en un tour de main ! systèmes physiques qui génèrent des formes
Les formes d’équilibre issues de ce par un mécanisme de déstabilisation que les
principe physique d’énergie minimale physiciens préfèrent appeler « mécanisme
peuvent aussi devenir plus complexes. d’instabilité ». Par exemple, en faisant varier
C’est par exemple ce que l’on observe sur la la température ou la valeur d’un champ
figure (a, page précédente), où un aimant est magnétique, une forme initialement stable
approché d’un liquide ayant des propriétés peut disparaître au profit d’une nouvelle,
magnétiques. C’est la somme d’une énergie en général plus complexe. Lorsqu’on durcit
de surface et d’une énergie magnétique qui les contraintes, les systèmes ont tendance,
est minimisée, conduisant à des formes en même en physique, à évoluer vers des formes
labyrinthe avec des bandes parallèles de plus complexes qui ont perdu certaines de
fluide magnétique d’épaisseur à peu près leurs symétries premières. Illustrons ce
constante, de l’ordre de l’épaisseur entre les propos par un premier exemple pris dans
plaques. Des figures « labyrinthiques » de le domaine des écoulements des fluides,
ce type sont observées dans la nature, chez l’instabilité de convection thermique.
certaines espèces de corail par exemple (b, Lorsqu’on chauffe le fond d’un réci-
page précédente). pient contenant un liquide, la chaleur
Un grand nombre d’autres formes est transportée du bas vers le haut par
naturelles ou artificielles répondent à une conduction thermique, au début sans
telle règle de minimisation de l’énergie. mouvement du liquide. Mais dès que la
Elles correspondent à ce que l’on appelle différence de température devient supérieure
des « états d’équilibre » car elles sont dans à une certaine valeur – que l’on nomme
un état stable, elles n’évoluent plus. Le « seuil de l’instabilité » –, un mouvement
plus souvent, il s’agit de formes statiques, apparaît. En pratique, il suffit d’augmenter la
inertes et non vivantes, en opposition avec différence de température pour observer des
le monde vivant où règnent le mouvement, mouvements du fluide et des structurations.
la croissance et donc un état de déséquilibre En effet, le fluide du bas, étant chauffé, se
permanent. dilate, devient moins dense et monte. En
arrivant en surface, il s’étale et repousse le
liquide en place, plus froid et plus dense, qui
Formes hors d’équilibre descend alors vers le fond. Il se forme ainsi
et instabilités des circulations locales, que l’on appelle
Les formes que l’on rencontre dans la nature « cellules de convection », à peu près de la
ne s’expliquent pas toujours par un principe taille de l’épaisseur de la couche de fluide.
d’énergie minimale. Il existe des formes en Il est aisé de réaliser cette expérience en

194 La matière
 Motifs cellulaires. (a) Vue
de dessus de cellules
de convection dans de
l’huile chauffée par le bas
et ensemencée par de
la poudre d’aluminium.
Les lignes sombres
correspondent à des
plans verticaux assez
minces le long desquels le
fluide redescend vers le
fond et révèlent la forme
polygonale des cellules. (b)
Motif similaire en cellules
polygonales sur la robe
a b d’une girafe. © D. Pol

versant quelques millimètres d’huile dans lors, comment progresser ? L’idée la plus
un récipient à fond plat lui-même posé dans simple est de classer les formes selon divers
quelques centimètres d’une eau plus chaude critères afin d’essayer de dégager certaines
de quelques degrés. Afin de bien observer les analogies. Dans le tableau page suivante, on
mouvements de l’huile, on peut y disposer de a par exemple défini quatre catégories, selon
petites particules, par exemple du poivre en que les motifs observés sont en bandes, en
poudre : de très jolies structures se forment cellules, en spirale ou en forme d’arbre, dans
alors en quelques minutes (a, ci-dessus). lesquelles on peut facilement regrouper les
Les cellules de convection observées sont formes venues du monde de la physique – le
en moyenne hexagonales car elles ont six monde inanimé –, du monde végétal et du
voisines, mais de nombreux défauts et monde animal (tableau page suivante).
irrégularités apparaissent en général : les Le fait d’être dans la même colonne
symétries et l’ordre ne sont pas parfaits. implique-t-il obligatoirement que les
Un mécanisme de convection thermique mécanismes d’apparition ou de croissance
similaire a lieu dans l’atmosphère où il est de ces diverses formes soient les mêmes ?

la genèse des formes

mis en évidence par des nuages particuliers, Non, pas forcément, mais ce classement peut
les cumulus. Notons que si l’on refait suggérer des descriptions communes qui à
l’expérience de convection, mais cette fois leur tour pourront donner des idées sur les
avec une paroi supérieure, par exemple mécanismes physiques minimaux, c’est-
une plaque de verre, ce ne sont plus des à-dire les plus simples possibles, à la fois
cellules hexagonales qui apparaissent mais nécessaires et suffisants, pour reproduire
des rouleaux parallèles, que l’on appelle l’apparition de telle ou telle forme.
« rouleaux de convection », qui donnent des Illustrons ces propos par quelques
motifs en bandes. exemples concrets issus de ces quatre
catégories de formes.

Classer les formes ? Motifs en bandes ou labyrinthiques

À ce jour, on est bien loin de connaître tous les On peut facilement observer des structures
mécanismes qui expliquent et sélectionnent en bandes : sur le pelage d’animaux (tigres,
les formes observables dans la nature. Dès zèbres), sur certains poissons tropicaux

195
 Motif en bandes Motifs cellulaires Motifs spiralés Motifs hiérarchiques
Monde de la physique Rides sur une plage Convection thermique Tourbillons entre Réseau hydrographique
à marée basse, avec une surface libre, disques, galaxies d’un fleuve, dendrites
convection thermique mousse de savon, spirales cristallines (flocons
entre plaques chauffées, fractures d’un émail de neige ou givre
fluides magnétiques ou de la boue séchée, sur une vitre), figures
pavage de Voronoy d’infiltration dans du
calcaire, simulation
numérique d’agrégation
Monde végétal Pommes desséchées, Nervation des feuilles Pommes de pin, fleurs Arbres, certaines algues
coquilles de noix de tournesol (Fucus vesiculosus)
Monde animal Robe du zèbre, corail Ailes de la libellule, Ammonites, coquillages, Bronches et alvéoles
cerveau, empreintes nid d’abeille, robe de escargots pulmonaires, dendrites
digitales, poissons la girafe, taches du neuronales
coralliens guépard, carapace de réseau vasculaire
la tortue

(poissons-anges), sur les petites rides de sable anglais Alan Turing qui montra le premier
laissées sur une plage à marée basse, dans que de tels motifs pouvaient apparaître dans
certaines structurations de nuages, ou dans des réactions chimiques (voir « Les motifs de
des expériences de convection thermique Turing »). Certains chercheurs pensent que
entre deux plaques (photo ci-contre). Ces ce type de réactions chimiques pourrait avoir
réseaux peuvent être très réguliers (formés lieu à un stade de la croissance des zèbres et
de bandes parallèles de même largeur) ou des poissons coralliens par exemple, ce qui
plus ou moins désordonnés, avec, ou non, induirait ensuite la présence d’une plus ou
des reconnexions. Plusieurs mécanismes moins grande quantité de mélanine en des
peuvent être évoqués pour expliquer ce zones particulières de la peau et donc des
genre de structure. C’est le mathématicien couleurs différentes.

Les motifs de Turing

Alan Turing est resté célèbre pour avoir percé les codes secrets de l’armée allemande pendant la Seconde
Guerre mondiale et avoir été le fondateur de l’informatique. Il publia aussi, en 1952, un article sur « les
bases chimiques de la morphogenèse » qui se révéla crucial pour la compréhension des motifs en biolo-
gie.
L’idée de départ était d’imaginer une première espèce chimique, notée N par exemple, fabriquée par une
réaction dite « autocatalytique » : plus il y a de N quelque part, plus il y est facile de former du N. Mais
cette espèce N fabrique aussi une seconde espèce B dite « inhibitrice » : la présence de B gêne la fabrica-
tion de N. De plus, on suppose que les espèces N et B se dispersent, ou diffusent, dans le matériau mais
que B diffuse plus vite que N. Examinons les conséquences de ces hypothèses. Si, localement, la fabrication
de N commence, il va se créer un pic de concentration très riche en N. À cause de la diffusion rapide de
B, une zone riche en B va apparaître autour de ce premier pic, ce qui aura pour conséquence de bloquer
l’étalement de N : un autre pic de N ne pourra se développer qu’à une distance minimum du premier.
Tout se passe comme s’il existait un effet de répulsion entre les différents pics de N, lesquels se trouvent
séparés par un réseau de lignes riches en B. Il suffit ensuite d’imaginer que N soit noire et B blanche pour
créer de très beaux motifs qui formeront, selon les cas, des bandes, des cellules ou des pois.
Comme les êtres vivants, les motifs de Turing meurent par diffusion s’ils ne sont pas alimentés : ce sont des
structures dissipatives et non des structures à l’équilibre qui pourraient minimiser leur énergie.

196 La matière
 Motifs en bandes. (a) Robe d’un
zèbre © D. Pol (b) Rides sur la
plage laissées à marée basse par
le mouvement de va­et­vient des
vagues. © Y. Bertho (c) Poisson­
ange (Pomacanthus imperator)
© Club subaquatique du CERN. (d)
Rouleaux de convection thermique
entre deux plaques. © G. Ahlers

a
b

c d

Pour voir à l’œuvre un autre mécanisme sa surface augmenter alors que le volume des
de formation de bandes, il suffit de regarder doigts n’est pas modifié. Ce qui compte, c’est
les empreintes digitales au bout de nos doigts. l’augmentation de la surface par rapport au
Ces structures se forment semble-t-il pendant volume, ou bien la diminution du volume
les premiers mois d’existence de l’embryon par rapport à la surface, comme lorsqu’une
alors que l’épiderme des futurs doigts présente pomme se ride avec le temps (son volume
une surface trop importante par rapport au diminue par évaporation progressive alors
volume. Cela se traduit par un plissement que sa surface reste d’aire constante). Ces
de la peau, comme après un bain prolongé différentes formes « ridées » sont générées

la genèse des formes

quand, la peau des doigts s’hydratant, elle voit par une même instabilité de compression

L’instabilité de flambage
Prenez une règle souple en plastique et posez-la verticalement sur une table tout en exerçant une légère
pression sur son extrémité supérieure. La règle prend tout d’abord une forme simple – la droite – qui
minimise son énergie élastique. Si, maintenant, vous augmentez progressivement la pression verticale, vient
un moment où la règle se courbe d’un côté, par exemple à droite. Vous venez d’observer une instabilité
qui brise la symétrie entre la gauche et la droite. La règle s’est déformée d’un côté particulier, soit à
cause d’une légère courbure initiale de la règle, soit parce que, sans le vouloir, vous n’avez pas appuyé
tout à fait verticalement. La nouvelle forme correspond toutefois toujours à une minimisation de l’énergie
entre l’énergie de flexion et l’énergie de compression de la règle, et le nouvel état est toujours un état
d’équilibre, sans mouvement. Cette instabilité de flambage est bien connue des architectes, qui souhaitent
en général l’éviter lorsqu’ils construisent un pilier de soutien ! Si vous répétez l’expérience avec une
lame métallique souple placée entre deux parois proches, il est possible, en augmentant la compression,
d’observer plusieurs oscillations conduisant à une série de plissements. C’est par une technique similaire
qu’une couturière modifie la forme d’un rideau ou d’une robe en créant des fronces.

197
 dite de « flambage ». L’opération inverse, où libre mais l’on peut aussi penser à la cara-
le volume augmente plus vite que la surface, pace de la tortue, à la robe de la girafe ou
conduit à des tensions de surface et donc à des à une vue au microscope des cellules de
fractures (nous en reparlerons un peu plus l’épiderme. Les décrire suppose de décrire
loin), comme pour les gerçures des mains en les propriétés des frontières entre les
hiver ou les prunes trop mûres en été ! cellules. Dans une mousse par exemple, que
Des chercheurs américains ont récem- cela soit dans un verre de bière ou dans un
ment montré que l’instabilité de flambage bain moussant, les parois liquides entre les
est aussi à l’origine de la forme ondulée du bulles d’air se rencontrent le long des arêtes.
bord des feuilles de certaines plantes comme Ces arêtes, à leur tour, se rencontrent trois
la salade. Lorsque les cellules végétales du par trois en faisant des angles égaux (120°),
bord de la feuille se multiplient plus vite et ce, même si les bulles n’ont pas toutes la
que celles du centre, la bordure se trouve en même taille (photo ci-dessous).
compression et prend une forme ondulée. C’est là une conséquence de la règle de
En injectant une hormone de croissance sur minimisation de l’énergie de surface déjà
les bords de certaines feuilles plates, on peut évoquée. Cette même contrainte de surface
les faire onduler ! minimale explique aussi que les abeilles
fabriquent des alvéoles hexagonales, mais
Motifs cellulaires ou à pois ce n’est qu’en 1999 que le mathématicien
Les structures que nous qualifierons de américain Thomas Hales a pu démontrer que
« cellulaires » correspondent à des domaines « le plus court réseau de frontières délimitant
adjacents qui recouvrent une surface ou des régions planes d’aires égales est le pavage
remplissent un volume sans y laisser de en hexagones réguliers ». Notons toutefois
trous. Nous avons vu un premier exemple que lorsque la règle de minimisation du
dans la convection thermique avec surface périmètre des frontières est plus souple et
autorise quelques défauts (l’on
n’est plus alors tout à fait dans
un cas d’énergie minimale),
comme dans le cas de la
convection thermique avec
surface libre, on observe des
réseaux cellulaires irréguliers :
ce n’est qu’en moyenne
qu’une cellule a six voisines.
Comment pousser plus loin
la description de ces formes ?
Le mathématicien russe

Bulles de savon confinées entre deux

plaques transparentes. Des bulles d’air
de différentes tailles sont délimitées par
des membranes d’eau savonneuse qui
se raccordent à 120°.

198 La matière
 Les réseaux de Voronoy
Prenez un crayon, une règle et une feuille de papier et dessinez au hasard une dizaine de « taches » (a). Il
s’agit maintenant de réaliser un pavage en délimitant les régions de la feuille qui sont plus près d’une tache
donnée que des autres. Pour ce faire, on pourrait faire grossir les taches toutes en même temps, comme
des ballons, jusqu’à ce que leurs frontières se rencontrent, mais il y a plus simple. Sélectionnez l’une des
taches et tracez les segments qui la relient à ses plus proches voisines (b). Tracez ensuite la médiatrice de
chacun de ces segments – la droite perpendiculaire passant par le centre du segment (c). L’ensemble de
ces médiatrices délimite un polygone autour de votre tache d’origine : vous avez dessiné votre première
cellule de Voronoy. À l’intérieur de ce polygone, tout point est par construction plus près de la tache
centrale que de n’importe quelle autre. En recommençant la procédure pour chacune des taches du plan,
vous réaliserez un pavage du plan appelé « réseau de Voronoy » et les frontières de ces polygones ressem-
bleront beaucoup à la robe d’une girafe ou à des cellules de convection (d). Des programmes numériques
permettent de tracer automatiquement et rapidement de tels réseaux (voir « Sur la Toile ») et de vérifier
qu’en moyenne, chaque cellule a six voisines.

la genèse des formes

Georgy Fedoseevich Voronoy a montré au xixe des taches du guépard, on les fait grossir
siècle que l’on pouvait construire des formes jusqu’à ce qu’elles se rencontrent, le réseau des
cellulaires à partir d’un ensemble de points frontières entre taches prendra l’apparence
disposés aléatoirement sur une feuille de d’un motif cellulaire qui ressemblera à la robe
papier (voir ci-dessus). Il apparaît dès lors que de la girafe.
les motifs « à pois » appartiennent à la même Toutefois, il existe des motifs cellulaires
catégorie que les motifs cellulaires car on dans lesquels chaque cellule a plutôt quatre
peut, au moins par la force d’une expérience voisines en moyenne que six : ce sont alors
de pensée, passer de l’un à l’autre, c’est-à-dire des quadrilatères irréguliers. On peut en voir
transformer le pelage d’un guépard en celui par exemple dans les réseaux de fractures
d’une girafe et vice versa ! En effet, si, en partant de vitres fissurées, dans les flaques de boue

199
 Des fractures dans la Maïzena
Mélangez quelques cuillerées de farine de maïs (Maïzena) avec un peu d’eau jusqu’à en faire une pâte
assez épaisse. Disposez cette pâte dans un récipient à fond plat en une couche de quelques millimètres
d’épaisseur, puis laissez sécher une nuit au sec. Au matin, vous devriez observer un très beau réseau de
fractures. La taille caractéristique des cellules finales sera de l’ordre de l’épaisseur de la couche de farine,
ce que vous pourrez vérifier en répétant l’expérience avec un récipient légèrement incliné : les cellules les
plus grandes se développeront là où la couche sera la plus épaisse.

ou dans de la Maïzena séchée (voir « Des l’échantillon. Les bords de la fracture, en

fractures dans la Maïzena » et b ci-dessous). s’écartant légèrement, relâchent une partie
On y observe bien des cellules fermées des tensions qui existaient dans le matériau
délimitées par des parois à peu près linéaires mais elles ne peuvent les relâcher toutes,
mais, contrairement à ce que nous avons vu en particulier celles qui sont parallèles à
pour les réseaux cellulaires, où les angles la fracture. Au fur et à mesure du séchage,
entre les arêtes étaient en moyenne de 120°, les tensions à l’œuvre au sein du système
les angles entre fractures sont plutôt de 90°. augmentent et des fractures secondaires
Autre différence avec nos premiers motifs se développent. À cause de l’orientation
cellulaires, il existe une hiérarchie entre les des tensions résiduelles, ces fractures vont
fractures : il est possible d’en donner l’ordre naturellement pousser perpendiculairement
d’apparition rien qu’en regardant l’image à celles de la première génération, et le
finale. mécanisme sera le même pour chacune des
Faisons une expérience en laissant générations suivantes.
sécher une couche de Maïzena. On observe Ainsi, les réseaux à 120° correspondent
que les premières fractures naissent aux plutôt à un développement local des cellules,
bords du système puis traversent tout de proche en proche, jusqu’à remplir le plan,

a b

Motifs cellulaires. (a) Fractures à

90° dans une coupelle en porce­
laine soumise au gel. (b) Fractures
apparaissant par séchage d’une
couche de Maïzena. (c) Détail
d’une aile de libellule montrant
à la fois des connexions à 90°
pour les nervures principales et
quelques connections à 120°. ©
F. Meurgey, Museum de Nantes
(d) Nervation d’une feuille de
c d peuplier.

200 La matière
alors que les réseaux à 90° correspondent qu’un plan d’ensemble ou qu’une volonté de
plutôt à une division progressive de la reproduire la nature existent forcément au
surface en cellules de plus en plus petites. départ.
Leur évolution dans le temps est donc
différente. Les motifs à 120° sont plutôt Motifs spiralés
caractérisés par des règles de minimisation Poursuivons notre tour d’horizon et
du périmètre des frontières alors que les observons quelques formes issues de la
motifs à 90° ont des directions de propagation croissance animale. Prenons par exemple
perpendiculaires aux directions d’étirement un fossile, l’ammonite (a, page suivante).
ou de compression maximale. Sa coquille, en s’enroulant plusieurs fois
Des réseaux similaires aux réseaux sur elle-même, présente une propriété
de fractures peuvent se rencontrer dans géométrique intrigante : elle dessine
le monde vivant, par exemple dans les une spirale mathématiquement parfaite,
nervures d’une feuille ou dans les ailes appelée « spirale équiangle » (car elle
d’une libellule (c). Une feuille de peuplier présente en tout point le même angle avec
(d) présente une hiérarchie de tubes de une droite passant par le centre) ou « spirale
différents diamètres, les nervures, qui logarithmique » (car l’angle d’enroulement
permettent le transport du liquide nutritif. varie avec la distance au centre selon cette
Ces tubes se coupent approximativement fonction mathématique). Mais comment cet
à angle droit. On cherche actuellement animal disparu parvenait-il à construire
à expliquer cette ressemblance avec les une spirale parfaite ? La réponse, qui
réseaux de fractures en essayant de mettre fut longtemps débattue, est finalement
en évidence des contraintes mécaniques qui assez simple. Chaque année, l’animal,
influeraient sur la formation de ces nervures en grossissant, a besoin d’augmenter son
lors du développement de la feuille. Pour espace vital et élabore, adjacente à sa cellule,
les ailes de la libellule, les motifs observés une nouvelle cellule dont le volume est de
sont souvent un peu plus complexes. Quoi quelques pourcents supérieur au volume

la genèse des formes

qu’il en soit, ces deux types de réseaux de la précédente (+ 12 % sur la photo).
cellulaires, fortement interconnectés, offrent Une solution pour n’avoir à construire
l’avantage de permettre une alimentation que trois des quatre murs de sa nouvelle
efficace et sûre en fluide biologique, et cela cellule consiste pour lui à s’appuyer sur
même si une branche est accidentellement les cellules précédentes en s’enroulant
bouchée, et ils assurent de plus une rigidité progressivement sur lui-même. Selon ces
mécanique vitale pour la plante comme règles, si les cellules restent dans un plan,
pour la libellule. On retrouve d’ailleurs ces le mollusque fabrique obligatoirement
mêmes propriétés de forte interconnexion et une belle spirale équiangle. On peut de la
de résistance à la défaillance d’un tronçon même façon construire une telle spirale en
dans de nombreux réseaux construits par enroulant sur lui-même et dans un plan
l’homme (réseau de distribution d’eau, un rouleau de pâte à modeler légèrement
réseaux électriques ou réseau routier). De conique. Si l’enroulement sort du plan, c’est
telles structures apparaissent logiquement cette fois une jolie coquille d’escargot que
par croissance progressive des besoins, sans l’on aura. Expliquer pourquoi, selon les

201
 a b

Motifs spiralés. (a) Spirale équiangle d’un fossile d’ammonite

s’enroulant plus de six fois sur elle­même. (b) Double réseau
de spirales dans l’ordonnancement des fleurons d’une fleur de
tournesol. (c) Tourbillons en spirale dans un écoulement entre
c deux disques en contre­rotation.

espèces, l’enroulement tridimensionnel de de phyllotaxie – existe depuis longtemps

la coquille se fait à droite ou à gauche est mais la compréhension de ce phénomène a
un autre problème qui reste largement non fait de grands progrès ces dernières années,
résolu à l’heure actuelle. en particulier pour expliquer le nombre de
On rencontre aussi très souvent des bras spiraux observés. Il a été démontré
spirales en botanique, que ce soit sur une que c’est la combinaison entre le rythme
fleur de tournesol (b), une pomme de pin de croissance et la répulsion entre cellules
ou un ananas. Pourquoi ? Pour ces plantes, qui contrôle la disposition en spirale des
la croissance s’organise à partir d’une zone éléments.
centrale appelée méristème où a lieu la Des spirales peuvent aussi être obser-
division cellulaire. Une fois créées, les cellules vées en physique lorsqu’une rotation et un
sont à la fois progressivement repoussées mouvement centrifuge (vers l’extérieur)
vers la périphérie et se repoussent entre elles. se combinent, comme, par exemple, dans
Ce domaine de la botanique qui s’attache à l’écoulement d’un fluide placé entre deux
la disposition des feuilles – il porte le nom disques tournant en sens opposés (c).

202 La matière
Motifs en forme d’arbre phénomène, commençons par un exemple
ou hiérarchiques issu de la physique : c’est l’instabilité dite de
Nous arrivons maintenant à la quatrième « digitation visqueuse », qui a été largement
et dernière catégorie de notre classification, étudiée car elle limite l’efficacité des méthodes
celle des formes ramifiées ou hiérarchiques, de récupération du pétrole dans les roches
comme les branches d’un arbre, les bronches poreuses. En effet, l’exploitation des réservoirs
et les bronchioles de nos poumons ou les naturels de pétrole s’arrête classiquement
dendrites de nos neurones. Ces motifs se lorsque la surpression n’est plus suffisante
caractérisent par le fait qu’il n’existe qu’un pour faire remonter le pétrole brut, alors
seul chemin pour aller d’un point à un autre, qu’il reste pourtant dans le gisement près de
par exemple pour aller d’une feuille à une la moitié des réserves. L’idée est de mieux
autre dans un arbre – il n’y a pas de chemin vider le réservoir en y injectant un fluide
en boucle possible – et s’opposent en cela de remplacement, de l’eau, qui, comme
clairement aux motifs cellulaires d’un réseau un piston, devrait en principe repousser le
de fractures par exemple. On peut aussi les pétrole. Il s’avère que ce n’est pas le cas : l’eau,
qualifier de « structures ramifiées » (en forme moins visqueuse, va en réalité pénétrer et
de branche) ou de « structures dendritiques » traverser le pétrole brut. On peut facilement
(en forme d’arbre). observer une telle instabilité en injectant de
La plupart de ces structures hiérarchiques l’air dans une couche d’huile placée entre
sont créées par une dynamique particulière deux plaques de verre. L’interface entre l’air
de croissance qui, contrairement à ce que l’on et l’huile est toujours instable et prend des
a vu dans les cas précédents, fait apparaître formes de plus en plus complexes. La figure
une forme de répulsion entre les branches qui a page 204 montre une superposition de
empêche toute reconnexion. Pour illustrer ce photos successives de cette interface lorsque

Le modèle DLA

la genèse des formes

À l’heure de l’informatique, il est intéressant de simuler des formes par ordinateur car il devient alors
possible de tester toutes sortes de lois de croissance et de montrer que même des règles simples peuvent
conduire à des formes très complexes. Le modèle informatique présenté ici permet de créer de très belles
ramifications et de les étudier. Il a été imaginé en 1981 par deux physiciens de Chicago,Tom Witten et Len
Sander, et porte le nom de DLA pour Diffusion-Limited Aggregation (Agrégation limitée par la diffusion).
Le principe en est simple. On place tout d’abord une première particule en un point origine. Ensuite, une
deuxième particule est lâchée dans le voisinage de la première et se déplace d’une distance égale à son
diamètre dans une direction choisie au hasard à chaque intervalle de temps. On réalise ainsi ce que les
physiciens appellent une « marche au hasard », et ce, jusqu’à ce que la deuxième particule vienne toucher
la première et s’y colle. On lâche alors une troisième particule, puis une quatrième, une cinquième, etc. En
poursuivant la même procédure, il se forme progressivement un ensemble de particules immobiles, appelé
« agrégat », qui, en grossissant va prendre une forme caractéristique très ramifiée (c, page suivante).
Les simulations sont faciles à réaliser sur ordinateur et des agrégats de plusieurs millions de particules ont
ainsi été créés, dont on a pu étudier les propriétés. Une grande similitude avec l’instabilité de digitation
visqueuse a notamment été observée. Ces structures ont des aspects autosimilaires (tout agrandisse-
ment de l’objet ressemble à l’objet lui-même), elles sont denses (beaucoup de sites sont occupés) mais
pas compactes (il existe toujours des sites libres). On dit que ce sont des structures fractales. Des sites
Internet existent sur lesquels on voit pousser des agrégats en temps réel (voir « Sur la Toile »).

203
 l’air est injecté à faible vitesse à partir du ordinateur (voir « Le modèle DLA »). Que
centre. Au fur et à mesure de la croissance, nous apportent de telles simulations ?
des zones d’air en forme de doigt – d’où le nom Elles nous permettent de tester aisément
de « digitations » – se développent. Au cours l’effet des lois de croissance et d’en étudier
de la croissance, les extrémités de ces doigts l’impact sur les formes obtenues. Le modèle
se divisent, forment de nouveaux doigts et le DLA a ainsi permis de démontrer que des
processus se répète indéfiniment. Les zones lois de croissance extrêmement simplifiées
d’huile piégées entre les doigts d’air sont, elles, et locales peuvent déjà donner des formes
pratiquement immobiles. Si l’on poursuit assez complexes. En compliquant un peu les lois
longtemps la croissance, ou si l’on injecte l’air de croissance, on peut aussi faire pousser
à haute vitesse, on peut obtenir des structures différentes espèces de « fleurs » ou d’« arbres »
extrêmement ramifiées qui ressemblent sur nos écrans. Or, savoir reproduire des
fortement à certaines infiltrations fossiles formes naturelles par des règles simples
observées dans des roches sédimentaires (b facilite le travail du chercheur : celui-ci
ci-dessous) ou au dessin d’un réseau veineux peut alors essayer de mettre en évidence
ou artériel humain. les mécanismes physiques essentiels qui
De tels motifs peuvent être reproduits imposent ces diverses lois de croissance.
par des règles simples que l’on simule par Dans le cas de la digitation visqueuse, les
lois qui commandent l’écoulement des fluides
nous disent que la croissance est gouvernée
par le champ de pression qui règne dans
l’huile juste devant sa frontière avec l’air
que l’on appelle l’interface. Si l’on connaît
le débit d’injection et la forme de l’interface
à un instant donné, on sait parfaitement
calculer la forme que prendra cette
dernière à l’instant suivant. Les variations
de pression sont plus fortes à l’avant des
doigts d’air – c’est ce que l’on appelle un
a
« effet de pointe », comme en électrostatique

Structures hiérarchi­
ques. (a) Digitations
se développant entre
deux plaques de verre
par injection d’air dans
de l’huile à partir du
centre.
© Y. Couder (b)
Dépôt minéral sur une
surface de calcaire. (c)
Agrégat d’un million de
particules obtenu par
b c simulation DLA.

204 La matière
– et la vitesse de déplacement est alors bien Conclusion
plus grande aux pointes qu’ailleurs, ce qui Les formes actuelles du vivant sont la
amplifie petit à petit les déformations de conséquence d’un long processus d’évolu-
l’interface et explique la ramification et la tion qui, au hasard des mutations puis par
complexification progressives de la forme. sélection naturelle, a peu à peu retenu
Existe-t-il un même mécanisme certains caractères. Ce processus évolutif
physique pour expliquer les diverses formes correspond à des échelles de temps très
de croissance hiérarchique ? Qu’il s’agisse longues, supérieures au million d’années.
de la digitation visqueuse ou d’un arbre, On peut parfois justifier ces formes
l’objet grandit par transport de matière par a posteriori par des critères d’utilité
l’intérieur, à travers le tronc pour l’arbre. Dans ou d’efficacité. Ce n’était toutefois pas
le cas du modèle DLA, les particules arrivent l’objet de ce texte où nous avons plutôt
de l’extérieur. Cette différence apparente ne choisi de décrire l’évolution de la forme
semble pas avoir d’influence sur la forme des d’« individus » particuliers. Dans le monde
structures : le facteur dominant s’agissant de biologique, la forme est certes l’expression
la croissance de l’objet est l’environnement d’un certain codage présent dans les gènes
extérieur. Pour la digitation visqueuse, – un zèbre enfante bien un zèbre –, et elle
l’environnement extérieur est contrôlé par la est donc liée à l’évolution, mais la forme de
pression, pour l’arbre par l’ensoleillement et chaque individu est aussi le fruit des divers
la température, pour la simulation DLA par la mécanismes physiques intervenus dans
probabilité de présence des particules. Dans son développement. Ce constat va un peu à
les trois cas, ces quantités sont gouvernées l’encontre des idées reçues : on a tendance
par le même type d’équations. Des motifs aujourd’hui à tout vouloir expliquer par
similaires ont pu être réalisés en faisant se des causes biologiques en oubliant que ces
développer des colonies de bactéries sur une dernières sont aussi conditionnées par les
surface plus ou moins dure. lois de la chimie ou de la physique. Un des
Il existe actuellement en biologie de aspects fascinants de l’étude de l’origine

la genèse des formes

nombreuses études destinées à com- des formes est donc la confrontation
prendre les mécanismes qui contrôlent le permanente entre les visions biologiques
développement des réseaux vasculaires et physiques du monde.
embryonnaires et, en particulier, à déter- Ce petit voyage au pays des formes
miner quel champ externe commande nous a aussi montré qu’il était possible de
leur croissance. Ces mécanismes une développer une classification des formes,
fois identifiés, il sera peut-être possible que ces dernières proviennent du monde
de contrôler ces phénomènes et donc de animé ou du monde inanimé, ce qui
revasculariser certaines parties du corps ou, permet de s’interroger sur les similitudes
au contraire, de bloquer l’alimentation d’une et les différences perceptibles dans leurs
autre, par exemple d’une tumeur. mécanismes d’apparition. L’étude de la
morphogenèse est un vaste domaine de
recherche encore balbutiant, puisque de
très nombreux mécanismes, biologiques et
physiques, restent encore à découvrir.

205
 Et pour aller plus loin, quelques questions d’enseignants
La morphogenèse peut-elle être uniquement abordée du point de vue de la physique ?
Non bien sûr, ce sujet exige une approche pluridisciplinaire. La réponse que l’on entend parfois –
« c’est génétique » – à la question difficile de l’origine des formes du vivant, ne suffit bien évidemment
pas pour pouvoir comparer ou comprendre les mécanismes impliqués dans les formes que nous
observons autour de nous. Les mathématiques, la physique, la biologie, la botanique ou la géologie
sont des sciences qui clairement, peuvent toutes apporter des exemples et des éclairages différents
au problème de l’origine des formes pourvu qu’on y ajoute une bonne dose de curiosité. Dans cet
article j’ai volontairement insisté sur l’approche « Physique » car d’une part je suis physicien et
c’est donc celle que je connais le mieux, et d’autre part parce que ces formes se développant dans
notre monde réel elles doivent aussi se plier aux lois de la physique lors de leur apparition. Une
description qui ne s’appuierait que sur une seule discipline ne serait jamais complète.

Bibliographie savoir », 1994. La « bible » du domaine de la

« L’origine des formes », La Recherche, morphogenèse, par le premier chercheur à
n° 305, janvier 1998. Une série d’articles aux s’être intéressé aux formes du vivant.
thématiques très diverses (de l’architecture Graines de sciences 3, sous la direction de
navale à la musique) sur les formes et leurs David Jasmin, Jean-Marie bouchard et
origines. Pierre léna, « Bulles, gouttes et perles
« Les formes de la vie », Pour la science, liquides » (chapitre de David quéré), Le
n° 44, juillet 2004. Un excellent ensemble Pommier, 2001.
d’articles qui complète avantageusement le
présent texte. Sur la Toile
Stéphane douady et Yves couder, « La Simulation DLA
physique des spirales végétales », La http://apricot.polyu.edu.hk/~lam/dla/dla.
Recherche, n° 250, janvier 1993, p. 26-35. Un html ou http://www.cmp.caltech.edu/~mcc/
article décrivant les bases physiques de la STChaos/SH.html
phyllotaxie. Phyllotaxie :
Les Sciences de la forme aujourd’hui, éd. http://tpe.tournesol.free.fr/tournesol.htm
du Seuil, coll. « Point Sciences », 1994. Un Un excellent site créé par des lycéens. Un
livre d’entretiens avec des spécialistes venus modèle du genre, à voir absolument !
d’horizons variés. Pavage de Voronoy :
D’Arcy thompson, On Growth and Form, http://www.cs.cornell.edu/Info/People/
Cambridge University Press, 1917 ; version chew/Delaunay.html
abrégée par John tyler bonner, Forme et Pour tracer par ordinateur différents pavages
Croissance, éd. du Seuil, coll. « Sources du (en anglais).

206 La matière
Cette ressource est issue de l’ouvrage 29 notions clés pour savourer et faire savourer la
science, paru aux Éditions Le Pommier.

Fondation La main à la pâte

43 rue de Rennes
75006 Paris
01 85 08 71 79
[email protected]

Site : www.fondation-lamap.org