Corpus N°64
Corpus N°64
Le droit naturel
N° ISSN : 0296-8916
299
TABLE DES MATIÈRES
Florence Gauthier
Introduction .......................................................................... 5
Brian Tierney
Origines et persistance de l’idée des droits naturels ..... 9
Florence Gauthier
Éléments d’une histoire du droit naturel : à propos
de Léo Strauss, Michel Villey et Brian Tierney .................... 31
Christophe Miqueu
Locke et la révolution du droit naturel à l’aube
des Lumières ...................................................................... 57
Florence Gauthier
Le débat Le Mercier de la Rivière/Mably, ou l’économie
politique tyrannique contre les Lumières, 1767-1768 ...... 75
Marc Belissa
La place du droit naturel chez Mably.
Éléments de débat ........................................................... 111
Christopher Hamel
Pourquoi les néo-républicains refusent-ils la
thèse des droits naturels ? Un examen critique
de John Pocock à Philip Pettit ......................................... 129
Yannick Bosc
De Thermidor à Brumaire : la victoire de « la vaste
conspiration contre les droits naturels » ........................ 149
Varia
Traduction par Olivier Bloch de Robert PHILIPPSON
La philosophie du droit des épicuriens ................................ 175
Monique Vernes
Ovide, Rousseau, les barbares et le barbare ..................... 247
1
3
INTRODUCTION
DU DROIT NATUREL
À TRAVERS ENJEUX ET DÉBATS :
LE POINT SUR LES RECHERCHES ACTUELLES
1
Voir notre site Révolution française.net et notre dernière publication Marc
BELISSA, Yannick BOSC, Florence GAUTHIER éd., Républicanismes et droit naturel.
Des Humanistes aux révolutions des droits de l’homme et du citoyen, Paris,
Kimé, 2009, avec les interventions de Marc Belissa, Yannick Bosc, Vinvent
Bourdeau, Emilie Brémond, Monique Cottret, Marc Deleplace, Antoni Domènech,
Florence Gauthier, Jean-Pierre Gross, Magali Jacquemin, Joaquin Miras,
Raymonde Monnier, Pierre Serna, Sophie Wahnich.
6
Introduction
7
CORPUS, revue de philosophie
son ami J-B. Say, enfin les Idéologues, ont construit pour rompre
avec le droit naturel. La démocratie est présentée comme
anarchie, afin de justifier une aristocratie des propriétaires, seuls
aptes à gouverner. Les arguments selon lesquels la Déclaration
des droits ne peut être une contrainte, mais un simple guide, et
celui de l’abstraction du droit naturel, furent introduits avec
insistance et éclairent l’examen mené dans l’article précédent par
Christopher Hamel : les sources de l’argumentaire apparaissent
là, sous nos yeux, donnant un relief particulier à cette double
enquête.
Florence GAUTHIER
Historienne,
Université Paris 7-Diderot
8
ORIGINES ET PERSISTANCE
DE L’IDÉE DES DROITS NATURELS1
10
Brian Tierney
droits ait entraîné une perte d’intérêt pour le bien commun, ainsi
que l’avènement d’une société marquée par un « égoïsme corrosif 8 ».
11
CORPUS, revue de philosophie
12
Brian Tierney
10 Brian TIERNEY, voir supra note 1, p. 21, 28-30 citant Michel VILLEY, Cours
d’Histoire de la philosophie du Droit, Paris, 1963. Pour une synthèse
pratique voir Michel VILLEY, « La genèse du droit subjectif chez Guillaume
d’Occam », 9, Archives de philosophie du droit, 97-127, Paris, 1964 et La
formation de la pensée juridique moderne, Paris, Monchrestien, 1975.
11 Léo STRAUSS, Droit naturel et histoire, 1971. En dépit des affinités entre les
deux auteurs, les travaux de Strauss et Villey ont rarement été étudiés en
13
CORPUS, revue de philosophie
parallèle. Pour un examen critique de ces deux auteurs, voir Luc FERRY,
Alain RENAUT, Des droits de l’Homme à l’idée républicaine, Paris, PUF,
1985, p. 47.
12 Thomas HOBBES , Leviathan, (1651) trad. de l’anglais Paris, Gallimard,
2000, I, 14, p. 230.
14
Brian Tierney
13
James Clark HOLT, Magna Carta, Cambridge, 1992, p. 449.
14 Cette phrase est tirée de la Glose Ordinaire du Decretum Gratiani par
Johannes Teutonicus, in Decretum Gratiani… Una Cum Glossis, gloss ad
Dist. 56 c. 8, Venise, 1600.
15
CORPUS, revue de philosophie
15 Pour les textes canoniques mentionnés dans l’argumentaire qui suit, voir
TIERNEY, Studies on Natural Rights, op. cit., p. 58-69.
16
Brian Tierney
17
CORPUS, revue de philosophie
18
Brian Tierney
20 Sur ce développement, voir Kenneth PENNINGTON, The Prince and The Law,
1200-1600 : Sovereignty and Rights in the Western Legal Tradition, Univ. of
California Press, 1993.
21
MATHIEU, 5, 45 et 6, 26, Bible de Jérusalem, Ed. du Cerf, 2000.
22 INNOCENT IV, Commentaria Innocentii… Super Libros Quinque Decretalium,
Com. Ad 3. 34. 8, Frankfurt, 1570.
19
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20
Brian Tierney
21
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22
Brian Tierney
23
CORPUS, revue de philosophie
28
Ibid, p. 182-193.
24
Brian Tierney
29
Jean MAIR, In quartum sententiarum quaestiones, Paris, 1519, Dist. 15 q. 10.
25
CORPUS, revue de philosophie
30 LAS CASAS, Apologetica Historia Sumaria, (1967), Mexico, 1992, cité dans
TIERNEY, The Idea of Natural Rights, op. cit., p. 273.
26
Brian Tierney
27
CORPUS, revue de philosophie
28
Brian Tierney
30
ÉLÉMENTS
D’UNE HISTOIRE DU DROIT NATUREL :
À PROPOS DE LÉO STRAUSS,
MICHEL VILLEY ET BRIAN TIERNEY
1
En ce qui concerne l’état des connaissances sur la question du droit
naturel, en particulier à l’époque de la Révolution française voir Florence
G AUTHIER , Triomphe et mort du droit naturel en révolution, 1789-1795-
1802., Paris, PUF, 1992 ; L’Aristocratie de l’épiderme. Le combat des
Citoyens de couleur sous la Constituante, 1789-1791, Paris, CNRS, 2007 ;
Marc B ELISSA , Fraternité universelle et intérêt national, 1713-1795. Les
cosmopolitiques du droit des gens, Paris, Kimé, 1998 et Repenser l’ordre
européen. 1795-1802, Kimé, 2006 ; les publications du collectif l’Esprit des
Lumières et de la Révolution, coordonné par Marc BELISSA, Yannick BOSC,
Florence GAUTHIER, Républicanismes et droit naturel. Des Humanistes aux
Révolutions des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Kimé, 2009 et son
site : www.revolution-francaise.net.
32
Florence Gauthier
2
Léo STRAUSS (1899-1973), Droit naturel et histoire, conférences de 1949
publiées à Chicago en 1953, traduit de l’anglais (1954), rééd. Champs
Flammarion, 1986, Introduction et chap. III, L’origine de la notion de droit
naturel, p. 93. Voir aussi des définitions très proches chez Bernard
GRŒTHUYSEN, Philosophie de la Révolution française, Paris, Gallimard,
1956, publication posthume, rééd. Médiations, chap. 6, Le caractère
révolutionnaire et universel de l’idée de droit, pp. 151-171 ; Ernst BLOCH,
Droit naturel et dignité humaine, (1961), trad. de l’allemand, Paris, Payot,
1976, Avant propos, p. 11-14 et « Fort usité », p. 15.
3 Léo STRAUSS, op.cit., Introduction, p. 13 où il cite Ernst TRŒLTSCH dans
Otto GIERKE, Natural Law and the Theory of Society, Cambridge University
Press, 1934.
33
CORPUS, revue de philosophie
il est évident qu’il est parfaitement sensé et parfois même
nécessaire de parler de lois ou de décisions injustes. En
passant de tels jugements, nous impliquons qu’il y a un
étalon du juste et de l’injuste qui est indépendant du droit
positif et lui est supérieur4.
4 Ibid., p. 14.
5
Ibid., voir l’Introduction.
6
Ibid., Introduction, p. 17.
7 Ibid., p. 18.
8
Ibid., Chap. 1 et 2.
9 Ibid., Chap. 4. Le droit naturel classique et Chap. 5. Le droit naturel
moderne.
34
Florence Gauthier
35
CORPUS, revue de philosophie
36
Florence Gauthier
Le cas Hobbes
Léo Strauss voit en Hobbes un des fondateurs de la théorie
du droit naturel moderne, qu’il assimile à un libéralisme qu’il
définit comme une théorie de l’individualisme ou, plus précisément,
une théorie qui aurait opposé les droits de l’homme à ses devoirs14.
Hobbes abandonne l’exercice des pouvoirs publics au pouvoir
souverain sans aucun contrôle, en échange de la protection
d’une liberté individuelle entendue ainsi : ce que la loi n’interdit
pas est licite, sinon, il faut s’y soumettre15. L. Strauss souligne,
avec pertinence, l’abandon fait ici de la question de la société
bonne et, du même coup, des principes moraux de la vie politique,
caractérisant à ses yeux le droit naturel classique. Hobbes, en
faisant de « l’homme un animal apolitique et même asocial16 », se
37
CORPUS, revue de philosophie
17 Ibid., p. 173.
18 Voir Christophe MIQUEU, « Locke et la révolution du droit naturel à l’aube
des Lumières » et Christophe HAMEL , « Pourquoi les néo-républicains
refusent-ils la thèse des droits naturels ? Un examen critique de John
Pocock à Philip Pettit ».
38
Florence Gauthier
Michel Villey
Avec son livre Le droit et les droits de l’homme19, qui offre
une synthèse de ses réflexions, M. Villey propose une autre querelle
des anciens et des modernes et, s’il partage une chronologie
proche de celle de Léo Strauss, il se sépare de lui sur des points
fondamentaux.
En premier lieu, M. Villey donne au mot droit une signification
limitée à la pratique antique dont il trouve la théorie chez Aristote
et, dans la tradition de la République romaine, chez Cicéron. Cette
connaissance du droit romain est, aujourd’hui, perdue à ses
yeux car on ne l’enseigne plus depuis que la science historique
allemande, qui idolâtre les faits et refuse les jugements de valeur,
s’est imposée. On reconnaît ici une référence à l’analyse de Léo
Strauss, au sujet des sciences sociales allemandes, s’acheminant,
depuis la fin du XIXe siècle, « vers un relativisme sans réserves ».
M. Villey considère que ce que l’on appelle droits de l’homme
repose sur des prémisses qu’il n’accepte pas pour la raison
suivante : la morale d’Aristote diffère de celle des Modernes car
elle n’est pas un code dicté par un Dieu, comme dans la théologie
chrétienne, ni par la raison comme dans la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen de 1789. La morale d’Aristote renvoie
aux mœurs de la société antique et à la notion d’ordre cosmique
dont la préservation est un devoir de justice.
Le problème ici posé est celui de la source de la morale.
19
Michel VILLEY (1914-1988), Le droit et les droits de l’homme, Paris (1983),
PUF, Quadrige 2009.
20 Ibid., Chap. 4. Une découverte d’Aristote, p. 41-42.
39
CORPUS, revue de philosophie
21
Ibid., p. 42.
22
Ibid., analyse détaillée dans les Chap. 4, 5 et 6.
40
Florence Gauthier
23
Ibid., p. 59.
24 Ibid., Chap. 6, p. 69.
25 Que M. Villey nie la présence d’un droit de la personne dans le droit
romain est contestable. Voir par exemple, et en dehors de toute polémique,
Marcel MAUSS, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne,
celle du moi », (1938), in Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, Quadrige,
1950, Chap. 4. La « persona », pp. 351-354.
41
CORPUS, revue de philosophie
26
Ibid., Chap. 8, Le catholicisme et les droits de l’homme, p. 105.
27 Ibid., p. 107.
28 Ibid., p. 116.
29
Ibid., p. 118.
30
Ibid., p. 125 et s.
42
Florence Gauthier
Il n’apparaît pas que le catholicisme ait été le berceau des
droits de l’homme. Je rappelle que la papauté, jusqu’à une
époque toute récente – sauf erreur, jusqu’à Jean XXIII – est
demeurée constante dans son attitude d’hostilité aux droits
de l’homme31. »
31
Ibid., p. 130.
32 Le nom même du pape Jean XXIII permet-il de penser qu’il a facilité la
réouverture du débat entre Guillaume d’OCKHAM et le pape Jean XXII ?
L’historiographie de l’époque le suggère. Voir les travaux de Brian TIERNEY
cités plus bas, n. 29.
33 M. VILLEY, op. cit., Chap. 9. Naissance et prolifération des droits de l’homme
au XVIIe siècle, p. 132.
43
CORPUS, revue de philosophie
34
HOBBES, Léviathan, op. cit., I, 14, p. 229.
44
Florence Gauthier
35
Le concept de liberté négative a été introduit par Gerald MacCallum,
« Negative and positive freedom », in Peter LASLETT, W.G. Runciman,
Quentin SKINNER éd., Philosophy, Politics and Society, 4th series, Oxford,
1972, p. 174-93. La liberté négative est celle qui peut se réaliser en
l’absence d’ingérences extérieures qui empêchent de parvenir aux fins
recherchées. Isaiah BERLIN dans Four Essays on Liberty, London, 1969, a
avancé un deuxième concept de liberté qualifiée de « positive » pour la
distinguer de la précédente, comme la quête personnelle de la maîtrise de
soi et de l’épanouissement de la personne. Quentin SKINNER dans « Un
troisième concept de liberté au-delà d’Isaiah Berlin et du libéralisme
anglais », in Actuel Marx, Les libéralismes au regard de l’histoire, n° 32,
2002, p. 15-49, propose un nouveau concept de liberté qui tient compte de
l’état de dépendance économique, sociale ou politique. C’est en étudiant
les théories qu’il appelle néo-romaines, d’auteurs des XVIe et XVIIe siècles,
que Skinner a redécouvert cette troisième conception d’une liberté sans
domination, voir aussi son livre La liberté avant le libéralisme, (1998) trad.
de l’anglais Paris, Seuil, 2000. Q. Skinner a ainsi rouvert le débat sur la
conception de la liberté en Grande-Bretagne et son concept de liberté sans
domination se rapproche de la conception du droit naturel, tel que Brian
Tierney l’a retrouvé au XIIe siècle et plus tard, voir plus bas.
45
CORPUS, revue de philosophie
Brian Tierney
Constatant que la connaissance du droit naturel est sujette
à des interprétations trop diverses pour ne pas révéler leur
faiblesse, Brian Tierney est parti à la recherche de « la petite
phrase » et l’a trouvée, dans sa version latine, ius naturale, au
XIIe siècle, chez des juristes « décrétistes » et des spécialistes du
droit canon, c’est-à-dire chez des praticiens du droit et de la
politique et en premier lieu chez Gratien36.
36 Brian TIERNEY, The Idea of Natural Rights. Studies on Natural Rights, Natural
Law and Church Law, 1150-1625, Michigan, Cambridge UK, 1997, Chap. 2,
Origins of Natural Rights Language : texts and contexts, 1150-1250, les
textes de Gratien se trouvent rassemblés dans le Decretum, rédigé vers
1140. On trouvera une bibliographie de l’auteur sur l’histoire des débats
qui ont nourri le droit médiéval depuis 1955. Voir le compte-rendu de
ce livre par Florence GAUTHIER , dans la revue Médiévales, n° 57, 2009,
p. 161-172.
37
B. TIERNEY, op. cit., Chap. 2., p. 57.
38 De mon côté, j’ai étudié le droit naturel à l’époque de la Révolution
française marquée par une abondance de sources et, six siècles plus tard,
j’ai retrouvé ces mêmes définitions que j’ai analysées dans Florence
46
Florence Gauthier
47
CORPUS, revue de philosophie
40
B. TIERNEY, op. cit., Chap. 2, p. 54.
41 Marc BLOCH, Rois et serfs. Un chapitre d’histoire capétienne, (1920), Paris,
La Boutique de l’histoire, 1996, chap. 6, Les affranchissement sous Louis
X et Philippe V. Le préambule de 1315-1318, p. 129.
48
Florence Gauthier
Lorsque les juristes romains, sous l’influence sans doute
de la philosophie grecque et plus particulièrement des
stoïciens, eurent élaboré la doctrine du droit naturel, ils en
firent l’application à l’esclavage ; ils estimèrent cette
institution si répandue autour d’eux, contraire à la loi
purement rationnelle qu’ils se plaisaient à imaginer. Ulpien
a écrit : ‘Par droit naturel tous les hommes naissent libres’,
et cette phrase, avec quelques variantes, se retrouve en
divers lieux dans le Digeste et les Institutes. Plus tard, les
Pères de l’Église la répétèrent sous des formes diverses. Ils
puisaient de toutes mains dans la philosophie politique du
paganisme42.
42
Marc BLOCH, Ibid., p. 130.
49
CORPUS, revue de philosophie
50
Florence Gauthier
45
Jean BODIN, ibid., p. 87.
46
Ibid., p. 103.
51
CORPUS, revue de philosophie
47
Ibid., Chap. 2, p. 46.
48 Ibid., Chap. 11.
52
Florence Gauthier
Tous les hommes sur terre sont des êtres humains ; il n’existe
qu’une seule définition des individus formant le genre
humain : ce sont des êtres rationnels. L’humanité est une50…
49
M. VILLEY, « Las Casas et la politique des droits de l’homme », Problématique
des droits de l’homme, Aix-en-Provence, 1976, p. 369.
50 Cité dans B. TIERNEY, op. cit., p. 273. Sur les calomnies contre Las Casas
voir aussi Marcel BATAILLON, Etudes sur Bartolomé de Las Casas, Paris,
1965 ; Marianne MAHN-LOT, B. de Las Casas et le droit des Indiens, Paris,
Payot, 1982. On trouvera une partie de cet immense dossier dans LAS
CASAS, Très brève relation de la destruction des Indes, (1552) trad. de
l’espagnol Paris, Maspero, 1979, Introduction par Roberto F. RETAMAR ,
p. 11-40.
51
B. TIERNEY, op. cit., Chap. 13, p. 340.
53
CORPUS, revue de philosophie
Conclusion
Les travaux de Brian Tierney permettent, en particulier, de
dépasser le découpage chronologique proposé par Léo Strauss,
séparant un droit naturel classique, d’un droit naturel moderne.
Tierney a retrouvé la définition précise du droit naturel au
moment de sa création et l’a suivie, dans les évolutions qu’elle a
connues, lors du débat du XIVe siècle puis de son élargissement
au moment de la « destruction des Indes », qui a suscité le grand
effort de Las Casas et de l’École de Salamanque. Au cœur du
droit naturel du XIIe siècle et de celui des Humanistes espagnols
du XVIe siècle, s’inscrit la résistance à l’oppression, partagée par
les peuples indiens et ces Européens qui se sont indignés
ensemble de la barbarie européenne.
Ce droit naturel universel de résistance à l’oppression a
des caractéristiques bien définies et ne saurait être confondu
avec la forme de liberté négative, qui a, elle aussi, ses propres
traits, à commencer par sa limitation à la sphère privée.
Par ailleurs, il existe un point de rapprochement possible
entre la conception que donne Léo Strauss du droit naturel et
celle des « décrétistes » du Moyen-âge. Elles contestent en effet,
toutes deux, que le droit positif ait le monopole de la légitimité et
affirment que le critère du juste et de l’injuste est le fruit d’une
pensée critique, qui a pris conscience de la contradiction entre
l’autorité et le sentiment humain de justice.
Cependant, les deux conceptions se séparent lorsque Léo
Strauss refuse le caractère universel du droit de résister à
l’oppression. Nous avons vu que Strauss évacue du droit naturel
classique toute contestation de l’esclavage ou de la hiérarchisation
du genre humain et privilégie un ordre naturel aristocratique,
alors que les juristes médiévistes formulent un droit naturel
égalitaire, c’est-à-dire réciproque ou universel au genre humain,
qui implique un ordre social juridique fondé sur la souveraineté
des peuples. On peut alors retenir que la division chronologique
en droit naturel classique et droit naturel moderne perd toute
54
Florence Gauthier
Florence GAUTHIER
Université Paris 7- Diderot
55
CORPUS, revue de philosophie
56
LOCKE ET LA RÉVOLUTION DU DROIT NATUREL
À L’AUBE DES LUMIÈRES
1
Jean-Fabien SPITZ, John Locke et les fondements de la liberté moderne,
PUF, Paris, 2001 et « John Locke, père fondateur du libéralisme ? John
Pocock et la réévaluation du rôle de Locke dans l’histoire de la philosophie
politique moderne », dans Jacques BIDET, dir., Les paradigmes de la démocratie,
Paris, PUF Actuel Marx, 1994, p. 227-50. Cf. également J. Pocock, « the
Myth of John Locke and the Obsession with Liberalism », in John Locke :
Papers Read at Clark. Library Seminar, ed. J.G.A. Pocock and R. Ashcroft,
Los Angeles, 1980, p. 3-24.
2 John DUNN, La pensée politique de John Locke : une présentation historique
de la thèse exposée dans les « Deux traités du gouvernement », traduction
de J.-F. Baillon, Paris, PUF, 1991.
3
Christophe MIQUEU, Spinoza, Locke et l’idée de citoyenneté. Une génération
républicaine à l’aube des Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2012.
4
Florence GAUTHIER, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution, PUF, 1992.
58
Christophe Miqueu
5
L OCKE, Second traité du gouvernement, trad. J.-F. Spitz avec la coll. de
Ch. Lazzeri, PUF, 1994, ii.6, p. 6.
6
John DUNN, La pensée politique de John Locke, op. cit., 1991.
59
CORPUS, revue de philosophie
60
Christophe Miqueu
61
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62
Christophe Miqueu
13
Dans Républicanismes et droit naturel, op. cit., p. 31-39.
14 « La Res Publica, la pensée politique de Francisco de Vitoria », op. cit.,
p. 32.
63
CORPUS, revue de philosophie
15
Florence GAUTHIER, « Robespierre inventeur des droits de l'homme et du
citoyen de son temps », ARBR, Arras, 1994.
16 La réflexion qui suit s’inscrit dans le prolongement de celle proposée dans
Christophe Miqueu, Spinoza, Locke et l’idée de citoyenneté, op. cit.
64
Christophe Miqueu
17
LOCKE, Second traité du gouvernement, op. cit., VII-87, p. 62.
65
CORPUS, revue de philosophie
Par là, il est aisé de distinguer ceux qui sont réunis en une
société politique et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui sont
réunis en un seul corps, et qui peuvent faire appel à une
loi commune et à des juges établis ayant autorité pour
trancher les controverses qui surgissent entre eux et pour
punir les coupables, ceux-là forment une société civile les
uns avec les autres ; mais ceux qui ne disposent pas d’un
tel appel commun, tout au moins sur terre, demeurent
dans l’état de nature, puisqu’à défaut d’une autre autorité,
chacun reste juge en sa propre cause18.
66
Christophe Miqueu
surgissant entre eux. »21 Il nous faut donc penser ce qui relève de
l’intérêt général, comme étant ce qui est le cœur même de la loi.
Pas un homme au-dessus des lois, tel est le leitmotiv classique
des républicains que Locke précise en montrant le résultat de
l’abandon par tout homme de son pouvoir naturel pour fonder la
communauté :
– il abandonne sa capacité de juger ce qu’il estime bon
pour se préserver ainsi que tout le genre humain au profit de « la
réglementation des lois que fait la société, dans toute la mesure
où sa propre préservation et celle des autres membres de la
société l’exigeront »22
– il abandonne totalement son pouvoir de punir les crimes
commis à son encontre et s’engage à soutenir de toutes ses
forces le pouvoir exécutif, car seule la communauté a la force de
faire exécuter les lois et de juger les crimes.
Ce double abandon est l’expression concrète d’une remise
en question de toute forme d’oppression politique. Dès lors que
l’abandon est reconnu, c’est-à-dire que la communauté existe,
alors le gouvernement n’a plus d’autre fin « que la paix, la sûreté
et le bien public du peuple »23.
67
CORPUS, revue de philosophie
est contraire »24. La société civile lie les hommes entre eux en en
faisant des concitoyens. Au moment où ils entrent en société, les
hommes se retrouvent détenteur d’une charge plus grande que
leur simple destinée puisque leur existence civile inclut désormais
officiellement, et non plus simplement naturellement, la considération
de l’humanité de leurs semblables.
La seule manière, pour quelqu’un, de se départir de sa
liberté naturelle, et de se charger des liens de la société
civile, c’est de s’accorder avec d’autres pour se joindre et
s’unir en une communauté, afin de mener ensemble une
existence faite de bien-être, de sécurité et de paix, dans la
jouissance assurée de leurs propriétés, et dans une sécurité
accrue vis-à-vis de ceux qui ne sont pas membres de cette
communauté. Tout groupe d’hommes est autorisé à agir
ainsi, puisque cela ne lèse en rien la liberté du reste du
genre humain qui demeure, comme auparavant, dans la
liberté de l’état de nature.25
68
Christophe Miqueu
69
CORPUS, revue de philosophie
70
Christophe Miqueu
29
Richard A SHCRAFT, La politique révolutionnaire et les deux traités du
gouvernement de John Locke, (1986) trad. de l’anglais par J.-F. Baillon,
Paris, PUF, 1995.
30
Id., op. cit., p. xiii.
71
CORPUS, revue de philosophie
72
Christophe Miqueu
de Shaftesbury à diverses personnalités politiques wighs et
participe à la diffusion de brochures politiques wighs. Il
tient à l’intention de Shaftesbury un journal politique
concernant les projets de loi examinés au Parlement, rend
compte des discours qui y sont prononcés et rédige des
notes sur les débats. À l’époque du complot papiste, il
contribue à la production des témoins, à l’élaboration de
plans d’action […]. Locke accompagne Shaftesbury à de
nombreuses réunions importantes où les chefs wighs
définissent leur stratégie politique, y compris certaines au
cours desquelles des plans d’insurrection sont étudiés. En
d’autre terme, Locke […] s’acquitte de ses devoirs de
conseiller et de secrétaire avec sérieux et, on peut le
supposer, avec une très grande efficacité31.
31
Richard ASHCRAFT, op. cit., p. 91-93.
73
CORPUS, revue de philosophie
Christophe MIQUEU
Université de Bordeaux,
SPH, philosophie politique
32
Richard ASHCRAFT, op. cit., p. 639.
74
LE DÉBAT LE MERCIER DE LA RIVIÈRE/MABLY,
OU « L’ÉCONOMIE POLITIQUE DESPOTIQUE »
CONTRE LES LUMIÈRES 1767-17681
76
Florence Gauthier
77
CORPUS, revue de philosophie
6
Adam SMITH, La Richesse des Nations, (1776) trad. de l’anglais (1881)
Garnier-Flammarion, t. 2, L IV, chap. 9. Des systèmes agricoles, p. 299. Le
petit livre fait tout de même 536 p. !
7
MABLY, (1709-1785) consacra de nombreux ouvrages au droit des gens : Le
droit public de l’Europe, 1746 ; Principes de négociations pour servir
d’introduction au droit public de l’Europe, 1757 ; Entretiens de Phocion sur
le rapport de la morale avec la politique, 1763, ouvrages qui préparaient la
nouvelle version du Droit public de l’Europe, 1764, réédités dans Œuvres,
Paris, Desbrière, 1794-1795, t. 5, 6, 7 et 10. La critique de l’économie
politique se trouve dans Doutes proposés aux philosophes économistes,
1768 ; Du commerce des grains, écrit en 1775 et publié de façon posthume
en 1789, rééd. Œuvres, t. 11 et 13.
78
Florence Gauthier
social comme faisant partie des lois générales et immuables
de la création8.
8
LE MERCIER DE LA RIVIÈRE, L’ordre naturel…, op. cit., Discours préliminaire,
p. 11.
9 Jean-Pierre FAYE, La philosophie désormais, Colin, 2003, II. Chap. 1. Débat
sur la métaphysique et invention du sujet.
10
LE MERCIER, ibid., p. 12.
11 Le caractère théologique de la pensée physiocratique a été constaté dès
son vivant, A. Smith parle de « secte », voir n. 6, puis, après une longue
période de cécité à ce sujet, à nouveau par des chercheurs récents comme
Francine MARKOVITS dans L’ordre des échanges. Philosophie de l’économie
et économie du discours au XVIIIe siècle en France, PUF, 1986, p. 227-254 ;
Simone Meissonnier, La balance et l’horloge. La genèse de la pensée
libérale en France au XVIIIe siècle, Paris, Ed. de la Passion, 1989 ; Yves
CITTON, Portrait de l’économiste en physiocrate, Paris, 2000, chap. 8.
79
CORPUS, revue de philosophie
12
Ibid., chap. 2, p. 24, souligné dans le texte.
13 Voir Marc BLOCH, Les caractères originaux de l’histoire rurale française,
Paris-Oslo, 1931, Chap. 2. La vie agraire.
80
Florence Gauthier
81
CORPUS, revue de philosophie
82
Florence Gauthier
19
Ibid., chap. 6, p. 48.
20 Ibid., chap. 2, p. 28.
21
Voir dans ce même n°, l’article de Florence GAUTHIER, « Éléments d’une
histoire du droit naturel… ».
22
LE MERCIER, op. cit., Discours préliminaire, p. 9.
83
CORPUS, revue de philosophie
84
Florence Gauthier
Si quelqu’un faisait difficulté de reconnaître l’ordre naturel
et essentiel de la société pour une branche de la physique,
je le regarderais comme un aveugle volontaire, et je me
garderais bien d’entreprendre de le guérir.
85
CORPUS, revue de philosophie
86
Florence Gauthier
30
Q UESNAY , Physiocratie, op. cit., p. 87 et s. qui décrit cette économie
politique tautologique. Au départ du circuit, les dépenses productives
détenues par les propriétaires exclusifs, source de toute richesse, passent
en subsistances, matières premières et impôt pour nourrir la société, faire
travailler la « classe stérile » (commerce et industrie) et la classe politique
qui maintient l’ordre naturel et retournent aux propriétaires exclusifs sous
forme de produits de consommation : et la boucle est bouclée.
87
CORPUS, revue de philosophie
une autorité despotique, cette force irrésistible de l’évidence,
cette force qui pour commander despotiquement à nos actions,
commande despotiquement à nos volontés. Le despotisme
naturel de l’évidence amène le despotisme social31.
31
LE MERCIER, Op. cit., chap. 22, p. 280, souligné dans le texte.
32 Voir mon article dans ce même numéro « Eléments d’une histoire du droit
naturel : à propos de Léo Strauss, Michel Villey et Brian Tierney ».
88
Florence Gauthier
89
CORPUS, revue de philosophie
34
MABLY, Doutes…, op. cit., Lettre Ière, p. 17-18.
35
Ibid., Lettre 7, p. 166.
90
Florence Gauthier
jamais ils ne considèrent à la fois l’homme par les
différentes qualités qui lui sont essentielles. Tantôt ils ne le
voient que comme un animal qu’il faut repaître et qui n’est
occupé que de sa nourriture ; et alors, toute leur politique
se réduit au produit net des terres, au revenu disponible.
Nos philosophes ont-ils besoin de considérer l’homme comme
un être doué d’intelligence ? ce n’est plus alors un animal
vorace qu’on nous présente ; c’est un ange qui a le bonheur
de ne pouvoir résister à la force de l’évidence. L’évidence
paraît et les passions se taisent respectueusement36.
36
Ibid., Lettre 2, p. 43.
37
Ibid., Lettre 2, p. 38.
91
CORPUS, revue de philosophie
38
Michèle DUCHET, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris,
(1971) 1977. Francine MARKOVITS, L’ordre des échanges…op. cit., p. 240 :
« C’est pourquoi il importe de garder présent à l’esprit le double clivage qui
traverse la pensée politique de cette époque : la propriété foncière est-elle
au principe de toute société ? Le conflit entre les classes est-il un défaut
de la société, en est-il une structure élémentaire ? À la première question,
contre Le Mercier de la Rivière, Rousseau et Mably répondent non et
montrent que si la question a une telle acuité, c’est qu’elle ne concerne
pas seulement la différence entre les civilisations de l’Europe et les
sociétés « sauvages », mais aussi le conflit des classes économiques dans
la monarchie. » On peut ajouter qu’à la deuxième question, Mably répond
qu’il s’agit bien d’une « structure élémentaire » qui, plus qu’un « défaut de
la société », la détruit.
39 Voir mon article dans ce même recueil, « Éléments d’une histoire du droit
naturel ».
92
Florence Gauthier
40
Ibid., Lettre 7, p. 165.
94
Florence Gauthier
leurs lois, quand ils commencèrent à former des sociétés ?
Si depuis l’établissement des propriétés foncières, les fortunes
et les conditions ne peuvent plus être égales, la politique
ne doit-elle pas du moins tout tenter pour empêcher que la
loi ne devienne oppressive ? Ne voyons-nous pas évidemment
que plus les peuples ont eu part à la législation, plus leurs
lois ont été impartiales41 ?
41
Ibid., p. 173.
42
Ibid., p. 175.
95
CORPUS, revue de philosophie
souffrez, s’il vous plaît, que la société se décide à la pluralité
des suffrages43.
43
Ibid., Lettre 8, p. 198.
44
Ibid., Lettre 10, p. 254.
96
Florence Gauthier
97
CORPUS, revue de philosophie
98
Florence Gauthier
99
CORPUS, revue de philosophie
l’arrachement, homme après lui ? Des animaux dénaturés,
voilà ce que nous sommes48.
48
VERCORS, Les animaux dénaturés, Paris, (1952), 1994, p. 263 et sa version
théâtrale Zoo ou l’assassin philanthrope. Le problème posé par Vercors est
le suivant : une société d’anthropopithèques vient d’être « découverte »
quelque part, en Australie. Des scientifiques cherchent à démêler s’ils sont
hommes ou singes, tandis que de dynamiques capitalistes s’apprêtent à
délocaliser leurs entreprises pour exploiter cette main-d’œuvre à coût bas.
Pour Vercors, il s’agit, une nouvelle fois, de définir l’appartenance à
l’humanité, afin de protéger les droits de ce peuple nouveau. Sans parler
de droit naturel, Vercors met en scène, de façon détaillée, sa définition qui
est proche de celle de Gratien –ou de Léo Strauss– : le propre de
l’humanité est cette conscience critique qui doit être reconnue comme un
droit universel et constitutif d’une société humaine.
49 John LOCKE, Deux traités de gouvernement, (1690) trad. de l’anglais
Bernard GILSON, Paris, Vrin, 1997. Voir les nombreux travaux qu’Olivier
100
Florence Gauthier
101
CORPUS, revue de philosophie
51
Ibid., II, 6.
52
Ibid.
102
Florence Gauthier
53 Ibid., IX, 123, en anglais : « their lives, liberties and estates, which I call by
the general name : property. »
103
CORPUS, revue de philosophie
de l’humanité, quand ces biens se présentent dans leur
état naturel54.
104
Florence Gauthier
105
CORPUS, revue de philosophie
106
Florence Gauthier
107
CORPUS, revue de philosophie
61
Ibid., Lettre 3, p. 353.
108
Florence Gauthier
62 Id., Du commerce des grains, t. 13, p. 262. Sur la guerre des farines voir
Florence GAUTHIER, Guy IKNI éd., La Guerre du blé au XVIIIe siècle, op. cit.
109
CORPUS, revue de philosophie
première nécessité à un prix qui ne serait pas proportionné
avec leur fortune63.
63
Ibid., p. 264.
64 TURGOT, « Septième lettre à l’abbé Terray », (1770) in Écrits économiques,
Paris, Calmann-Lévy, 1970, p. 351.
110
LA PLACE DU DROIT NATUREL CHEZ MABLY.
ÉLÉMENTS DE DÉBAT
112
Marc Belissa
113
CORPUS, revue de philosophie
7
Ibid., p. 69.
114
Marc Belissa
8
Souligné par moi, M.B.
9
Ibid., p. 70.
115
CORPUS, revue de philosophie
10
Ibid., p. 87.
11 Keith BAKER, "Transformations of Classical Republicanism in Eighteenth-
Century France" dans Journal of Modern History, 73, mars 2001, p. 32-53.
Johnson Kent Wright, A Classical Republican in Eighteenth-Century France:
The Political Thought of Mably, Stanford University Press, 1997.
12
Benjamin CONSTANT, « De l'esprit de conquête et d'usurpation » (1814), « De
la liberté des anciens comparée à celle des modernes » (1819), in Écrits
politiques, Paris, Folio, 1997.
13
Yannick BOSC, "Le conflit des conceptions de la République et de la liberté :
Thomas Paine contre Boissy d'Anglas" dans Républicanismes et droit
naturel, op. cit., p. 101.
14
Keith BAKER, op. cit., p. 32.
116
Marc Belissa
15
Ibid., p. 36.
117
CORPUS, revue de philosophie
118
Marc Belissa
Sa conversion à l’école du droit naturel donne à sa pensée
les fondations métaphysiques qui lui manquaient jusque-
là, rendant possible le populisme radical des Droits de
l’homme et du citoyen et l’égalitarisme radical de ses
travaux des années 1760. Sa conception du droit naturel
était philosophiquement peu évoluée – ou en tout cas
moins élaborée [que celle de Rousseau], mais il semble
avoir évité le concept de volonté générale. Surtout, Mably
ne fit jamais un grand usage instrumental des théories
modernes des droits : l’état de nature, la notion de passage
à la société civile par l’échange de droits dans un contrat
social, l’idée de souveraineté elle-même, c’est-à-dire tous
les thèmes essentiels du Contrat social [de Rousseau]19.
19
Ibid., p. 124.
20
Ibid., p. 92.
119
CORPUS, revue de philosophie
120
Marc Belissa
La liberté naturelle de l’homme, consiste à ne reconnaître
aucun pouvoir souverain sur la terre, et de n’être point
assujetti à la volonté ou à l’autorité législative de qui que
ce soit, mais de suivre seulement les lois de la nature. La
liberté, dans la société civile, consiste à n’être soumis à
aucun pouvoir législatif, qu’à celui qui a été établi par le
consentement de la communauté, ni à aucun autre empire
qu’à celui qu’on y reconnaît, ou à d’autres lois qu’à celles
que ce même pouvoir législatif peut faire, conformément au
droit qui lui en a été communiqué22.
121
CORPUS, revue de philosophie
On voit que c’est ici le droit naturel qui sert de guide éthique
quand le droit positif est confus ou contraire à la raison. Mably
affirme une hiérarchie du droit dans laquelle le droit des gens
positif est subordonné au droit naturel qui doit être interrogé en
premier pour déterminer la légitimité douteuse d’une convention
entre souverains. La démonstration de Mably acquiert ainsi un
caractère dialectique qui résulte du mouvement permanent entre
norme éthique et jeu des passions.
Pour Mably, les « lois politiques », au sens le plus général
cette fois-ci, ne peuvent être que le « développement des lois
naturelles »24. La nature n’ayant mis aucune différence entre les
hommes, n’ayant créé ni « des maîtres, des sujets, des esclaves,
des princes, des nobles, des roturiers, des riches, des pauvres »,
l’égalité naturelle doit être la base de toutes les lois politiques. Le
concept d’égalité naturelle est sans cesse rappelé chez Mably
pour définir la base des « bonnes lois » et de la société. Les États
libres sont ceux dont les lois sont les plus conformes « à l’ordre
23
Gabriel Bonnot de MABLY, Principes des Négociations…, introduction et
notes de Marc Belissa, Paris, Kimé, 2001, p. 123.
24
MABLY, De l'étude de l'histoire…, Paris, Corpus, Fayard, 1988, p. 28.
123
CORPUS, revue de philosophie
25 Ibid., p. 29.
26 Ibid., p. 35-36.
27
Ibid., p. 67
28
Ibid., p. 215.
124
Marc Belissa
125
CORPUS, revue de philosophie
et ce qui la distingue de l’état de nature. […] Après Locke,
on peut lire quelques chapitres de Grotius et de Pufendorf,
qui sont relatifs aux questions dont je viens d’avoir l’honneur
de vous parler. Vous trouverez dans leurs écrits des vérités
qui vous seront utiles ; et si vous avez étudié Locke avec
attention, vous vous préserverez de leurs erreurs. C’est
alors que je vous conseillerais de lire quelques chapitres de
Sidney, Passez ensuite au Citoyen de Hobbes ; c’est l’écrivain
qui a écrit avec le plus d’art et de force en faveur de la
tyrannie contre les droits de l’humanité30.
30
Ibid., p. 139.
126
Marc Belissa
Marc BELISSA
Université Paris Ouest Nanterre
CHISCO
127
CORPUS, revue de philosophie
128
POURQUOI LES NÉO-RÉPUBLICAINS
REFUSENT-ILS LA THÈSE DES DROITS NATURELS ?
UN EXAMEN CRITIQUE
DE JOHN POCOCK À PHILIP PETTIT
1
Cécile L ABORDE et John M AYNOR , « The Republican Contribution to
Contemporary Political Theory », Republicanism and Political Theory,
C. LABORDE et J. MAYNOR dir., Malden MA, Blackwell, 2008, p. 16, 1 ; pour
des affirmations similaires, voir Iseult HONOHAN, « Republicans, Rights,
and Constitutions : Is Judicial Review Compatible with Republican Self-
Government ? », Legal Republicanism. National and International Perspectives,
Samantha BESSON et Jose Luis MARTI dir., Oxford University Press,
2009, p. 83-101 ; Cass SUNSTEIN, « Beyond The Republican Revival », The
Yale Law Journal, 97 (8), p. 1539-1590, défend l’idée que si le renouveau
républicain a un intérêt, c’est en tant qu’il s’articule au libéralisme.
2 Knud HAAKONSSEN, « From Natural Law to the Rights of Men », A culture of
Rights. The Bill of Rights in philosophy, politics and law, 1791 and 1991,
130
Christopher Hamel
L’argument historique
Tout d’abord, les néo-républicains mettent à distance le
droit naturel au nom d’une thèse historique : le langage des droits
naturels serait étranger à la tradition républicaine. Si « la tradition
républicaine n’a pas insisté de manière aussi centrale que la tradition
libérale sur les droits individuels » entendus comme « droits naturels
et pré-politiques »8, c’est parce qu’en réalité « les conceptions qui
font référence aux droits naturels ou pré-politiques sont totalement
étrangères au républicanisme »9 et relèvent du libéralisme10.
Cette thèse historique tient essentiellement au succès du
cadre historiographique élaboré par Pocock comme « modèle »
pour l’histoire de la pensée politique. Avec l’intention explicite de
sortir de l’oubli une tradition républicaine moderne distincte du
libéralisme, Pocock a construit une opposition irréductible entre
deux langages politiques : le républicanisme, articulé autour du
concept de vertu civique, et le libéralisme, caractérisé par le
131
CORPUS, revue de philosophie
11
John G. A. POCOCK, « Cambridge Paradigms and Scotch Philosophers : a
study of the relations between the civic humanist and the civil
jurisprudential interpretation of eignteenth century social thought », I.
HONT, M. IGNATIEFF dir, Wealth and Virtue. The Shaping of Political Economy
in The Scottish Enlightenment, Cambridge Univ. Press, 1983, p. 248-50 et
Le moment machiavélien (1975) trad. L. BOROT, Paris, PUF, 1997 et Vertu,
commerce et histoire, (1985) trad. H. AJI, Paris, PUF, 1998, p. 61 ; voir
aussi Iseult HONOHAN, Civic republicanism, New York, Routledge, 2002,
p. 80, qui souligne, toutefois en passant, que les auteurs des débuts de
l’époque moderne ne voyaient pas cette opposition construite par Pocock
et que l’historiographie récente a reprise.
132
Christopher Hamel
12
Christopher HAMEL, « L’esprit républicain adapté à la Révolution française :
un “républicanisme classique” ? », La Révolution française. Cahiers de
l’Institut d’histoire de la Révolution française, à paraître.
13
Philip PETTIT, Républicanisme, op. cit., p. 23, 130.
133
CORPUS, revue de philosophie
134
Christopher Hamel
L’objection de l’abstraction
Les néo-républicains reprochent au langage des droits
naturels l’abstraction des discussions qu’il génère, et l’inefficacité
politique qui s’ensuit. « L’invocation de droits pré-politiques »,
affirme Sunstein, conduit à raisonner sur la démocratie « de
façon abstraite et décontextualisée »16. Répété et développé par
Bellamy, cet argument a récemment été reformulé par Laborde et
Maynor : les républicains, disent-ils, admettent « l’existence et
l’importance des droits individuels », mais sont en revanche
« sceptiques » quant aux théories des droits qui « font totalement
135
CORPUS, revue de philosophie
136
Christopher Hamel
137
CORPUS, revue de philosophie
138
Christopher Hamel
139
CORPUS, revue de philosophie
peut ici être utile. Par exemple, l’usage que Milton fait du concept
de droit naturel est radical d’un point de vue individualiste (il
justifie le droit de « tout homme », et pas seulement du peuple, de
résister par la force au tyran) mais cet individualisme ne
s’exprime jamais dans une conception privatiste de la citoyenneté,
hostile à l’esprit public.
Ensuite, concevoir la sphère privée comme le produit des
décisions publiques n’empêche pas de la justifier au nom de
droits pré-politiques individuels. Un raisonnement contractualiste
peut en effet parfaitement imaginer une situation où l’individu
cherche à protéger les dimensions de son existence qui ne
concernent que lui, et soit conduit à s’accorder avec les autres
sur les limites légitimes de cette sphère, lorsque, par exemple, ils
prennent conscience que l’usage d’un certain nombre de biens
personnels ne peut jamais être totalement envisagé indépendamment
de ses effets sur les biens d’autrui. Dans ce cas, on peut à la fois
dire que la sphère privée est le produit de décisions publiques, et
dire que ces dernières sont la traduction d’accords visant à
transformer certains droits pré-politiques en droits privés.
Ce type de raisonnement ne peut être écarté qu’au prix
d’une conception extrêmement polarisée des rapports entre public
et privé, où la défense de la protection de la vie privée implique
inévitablement la perception des obligations civiques comme une
invasion tyrannique de la liberté personnelle et où, inversement,
la justification de l’exercice collectif du pouvoir commun entraîne
mécaniquement le mépris des activités conduites dans la sphère
privée. Les développements de Benjamin Constant sur l’opposition
de la liberté des Anciens et des Modernes, amplifiés par la
construction plus récente d’Isaiah Berlin, ont fortement contribué
à structurer une telle opposition, mais elle est trop caricaturale
pour être convaincante. Pourquoi la vertu civique serait-elle
nécessairement synonyme de sacrifice des intérêts particuliers ?
Pourquoi les droits privés seraient-ils nécessairement synonymes
d’éloignement de la sphère politique ? La thèse d’un droit naturel
140
Christopher Hamel
141
CORPUS, revue de philosophie
33
John G.A. POCOCK, « Foundations and Moments », in Annabel BRETT et
James TULLY dir., Rethinking the Foundations of Modern Political Thought,
Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 46-47.
34
Iseult HONOHAN, Civic republicanism, op. cit., p. 210.
142
Christopher Hamel
35 Ibid., p. 211.
36 Richard BELLAMY, « Citizenship and Rights », art. cité, p. 63.
37 Duncan IVISON, « Republican Human Rights ? », The European Journal of
Philosophy, 9 (1), 2010, p. 32.
38 SUNSTEIN, « Beyond Republican Revival », art. cité, p. 1579-80, 1551, 1569 ;
Iseult HONOHAN, « Republicans, Rights », art. cité, p. 90-1, reprend cette
idée.
143
CORPUS, revue de philosophie
144
Christopher Hamel
40
Philip PETTIT, « The Freedom of the City : A Republican Ideal », in A. HAMLIN
et Philip PETTIT dir., The Good Polity, Oxford, Blackwell, 1989, p. 150-158.
41 Jean-Fabien SPITZ, La liberté politique. Essai de généalogie conceptuelle,
Paris, PUF, 1995, p. 207, 214.
145
CORPUS, revue de philosophie
146
Christopher Hamel
Conclusion
Dans sa toute première formulation de l’idéal républicain,
Pettit soutient qu’une « philosophie politique » n’a aucun espoir
de gagner à sa cause de nombreux partisans si elle entre en conflit
avec nos jugements bien considérés sur certaines questions. Il
ajoute que l’idée « profondément enracinée dans la tradition de
45
Joel FEINBERG, « The Nature and Value of Rights », in Rights, Justice and
the Bounds of Liberty. Essais in Social Philosophy, Princeton, Princeton
University Press, 1980, p. 151 ; Philip PETTIT, « The Consequentialist Can
Recognize Rights », art. cité, p. 52.
46 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, (1757), III, 6-7.
47 Philip PETTIT, « Freedom with Honour », Social Research, 64, 1997, p. 53 et
« The Domination Complaint » in S. MACEDO, M. WILLIAMS dir., Political
Exclusion and Domination, Nomos XLVI, New York Univ. Press, p. 102-4,
108 ; Christopher HAMEL « La place des droits dans le républicanisme de
Pettit », art. cité.
147
CORPUS, revue de philosophie
Christopher HAMEL
Université libre de Bruxelles
48
Philip PETTIT, « The Freedom of the City », art. cité, p. 150.
148
DE THERMIDOR À BRUMAIRE :
LA VICTOIRE DE « LA VASTE CONSPIRATION
CONTRE LES DROITS NATURELS »
4
Florence GAUTHIER, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution, 1789-
1795-1802, Paris, PUF, 1992.
2
Le Moniteur, réimpr., t. 25, p.90.
150
Yannick Bosc
5
Ibid. p. 91.
151
CORPUS, revue de philosophie
des agitations sans en craindre l’effet ; ils établiront ou
laisseront établir des taxes funestes au commerce et à
l’agriculture, parce qu’ils n’en auront senti ni redouté ni
prévu les déplorables résultats ; et ils nous précipiteront
enfin dans ces convulsions violentes dont nous sortons à
peine, et dont les douleurs se feront si longtemps sentir
sur toute la surface de la France.
Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre
social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans
l’état de nature.6
6
Ibid., p.92.
7
Ibid., p. 109.
8
Ibid.
152
Yannick Bosc
9
Ibid.
153
CORPUS, revue de philosophie
10 Ibid., p. 158.
11
Ibid., p.497.
12 La citoyenneté est définie par l'article 8 du titre II : « Tout homme né et
résidant en France, qui, âgé de vingt et un ans accomplis, s'est fait
inscrire sur le registre civique de son canton, qui a demeuré depuis
154
Yannick Bosc
155
CORPUS, revue de philosophie
156
Yannick Bosc
Constitution les moyens de limiter arbitrairement les droits
de cité, de les réduire à la faculté de faire des pétitions, à
la faculté de préparer de loin, par des élections d’électeurs,
le choix de quelques mandataires ou de certains représentants
non-responsables. Bientôt, en effet, le souverain étendu sur
l’immense territoire de l’empire, y fut enchaîné, garrotté
dans chacun de ses membres : vous êtes tout-puissant, lui
disait-on, mais vous ne remuerez, ni pieds, ni mains.18
157
CORPUS, revue de philosophie
158
Yannick Bosc
où vous avez été entraînés, la position dans laquelle vous
êtes, que vous pourrez assigner vous-mêmes le terme où
vous voulez arriver.20
20
Le Moniteur, op. cit., p. 81-82.
21 Intervention de Rouzet le 16 messidor an III, Ibid., p. 149-150
22 La Sentinelle du 1er thermidor an III, n°26, p.103. Yannick BOSC, « Paine
et Robespierre : propriété, vertu et révolution », Robespierre, de la Nation
artésienne à la République et aux Nations, sous la direction de Jean-Pierre
Jessenne, Gilles Deregnaucourt, Jean-Pierre Hirsch, Hervé Leuwers, Villeneuve
d'Asq, CHRNENO, 1994, p. 245-251.
159
CORPUS, revue de philosophie
23
Le Moniteur, op. cit., p.497.
24 Joachim VILATE, Les mystères de la mère de Dieu dévoilés ; troisième
volume des causes secrètes de la révolution du 9 au 10 thermidor, Paris, an
III, p. 78.
160
Yannick Bosc
161
CORPUS, revue de philosophie
comme des droits légaux. Et de ces droits, quels qu’ils soient,
il semble qu’il n’y en ait aucun dont un gouvernement
puisse jamais (dans le sens coupe-gorge du mot pouvoir),
en quelque occasion que ce soit, abroger la moindre particule.
En voilà assez sur le langage de la Terreur26
26 Ibid., p. 34.
27 Le Moniteur, op. cit., p. 150.
162
Yannick Bosc
163
CORPUS, revue de philosophie
33
Décade philosophique, 20 messidor an III, n°44, T.6, p.81.
164
Yannick Bosc
165
CORPUS, revue de philosophie
35 Jean-Baptiste SAY, Olbie, essai sur les moyens d'améliorer les mœurs d'une
nation (1799), publié dans les Œuvres diverses de Jean-Baptiste Say,
Charles Comte, Eugène Daire, Horace Say (éd.), Paris, 1848, p. 581-582.
36
Ibid., p.594.
37 Lettre du 22 avril 1815, Correspondance de Jean-Baptiste Say publiée dans
les Œuvres diverses de Jean-Baptiste Say, op. cit., p. 369 (souligné dans le texte).
166
Yannick Bosc
38
La Décade philosophique, 10 nivôse an VIII, p. 11.
167
CORPUS, revue de philosophie
Pour tracer l’histoire de la société civile, en remontant aux
causes qui déterminent sa formation, plusieurs philosophes
sont partis d’un certain état de nature dans lequel ils ont
cherché les fondements de la morale publique et privée,
ainsi que les principes qui déterminent et limitent les droits
de chacun et les devoirs de tous. Ces philosophes avoient
pensé que sans cela, l’on ne peut analyser exactement les
ressorts qui donnent le mouvement et la vie au système
social, ni surtout reconnaître dans ce qu’il fut jadis, et dans
ce qu’il est encore maintenant, ce qu’il peut et doit devenir
un jour. Mais cet état prétendu de nature, où les hommes
sont considérés isolément, et abstraction faite de tout
rapport antérieur avec leurs semblables, n’est qu’une pure
fiction de l’esprit : il n’a jamais réellement existé ; et bien
loin qu’il puisse nous fournir quelques lumières sur les
moyens de perfectionner la nature humaine et d’accroître son
bonheur, il est évident au contraire que plus elle s’en
éloigne, c’est-à-dire plus elle étend et règle avec sagesse les
relations sociales, et plus elle se rapproche de sa véritable
destination, ou du but que lui tracent ses facultés et ses
besoins39
39
CABANIS, Quelques considérations sur l'organisation sociale en général et
particulièrement sur la nouvelle constitution, Paris, Imprimerie nationale,
Frimaire an VIII, p. 7-8.
40
Ibid., p. 8.
168
Yannick Bosc
41 Ibid., p. 13.
42
Ibid., p. 10.
43
Ibid., p. 9.
169
CORPUS, revue de philosophie
44 Ibid., p. 36.
45
Ibid., note 1 p. 38-39. Mais il est à craindre poursuit Cabanis qu'en dépit
de toutes les précautions prises « nous ne guérissions bientôt de la seconde »,
c'est-à-dire celle que procure l'ivresse d'un « exécutif vigoureux ». Cabanis
anticipe les désillusions des Idéologues vis à vis de Bonarparte. Voir Jean-
Luc Chappey, « Les Idéologues face au coup d’État du 18 brumaire an VIII.
Des illusions aux désillusions », in Politix, vol. 14, n° 56, 2001, p. 73 et s.
170
Yannick Bosc
l’organisation publique, tandis que sa souveraineté, source
véritable, source unique de tous les pouvoirs, imprime à
leurs différents actes un caractère solennel et sacré, il vit
tranquille sous la protection des lois ; ses facultés se
développent, son industrie s’exerce et s’étend sans obstacles ;
il jouit, en un mot, des doux fruits d’une véritable liberté,
garantie par un gouvernement assez fort pour être
toujours protecteur. »46
46 Ibid., p. 27.
47
Sur la place du peuple dans ce texte de Cabanis, voir Jean-Luc Chappey,
op. cit., p. 68.
48
CABANIS, op. cit. p. 41.
171
CORPUS, revue de philosophie
172
VARIA
180
LA PHILOSOPHIE DU DROIT DES ÉPICURIENS
Traduction par Olivier Bloch de Robert PHILIPPSON
Die Rechtsphilosophie der Epikureer, dans Archiv für Geschichte
der Philosophie, Nouv.Sér. XXIII, 3, art. N° XII, et XXIII, 4, art.
n° XV = 1910, p. 289-337 et 443-446 – reproduit dans Id., Studien
zu Epikur und den Epikureern, Olms, Hildesheim, 1983, p. 27-89.
1 Ainsi von Arnim, dans son Dion p.74, soutient à tort qu'Épicure a exclu
aussi la Politique de la Philosophie. Nous verrons qu’il n’en a exclu que la
pratique politique, du fait qu’elle repose non sur la théorie, mais sur
l’expérience, et menace la tranquillité d’esprit du sage.
I.
Notre connaissance de l’attitude d’Épicure par rapport à la
théorie de l’État repose pour l’essentiel sur les Ku/riai Do/cai. Les
sources de seconde main renvoient la plupart du temps à celles-ci
comme à l’ouvrage le plus connu d’Épicure. Or Usener (Epicurea,
p. XLIVsqq), approuvé par von Arnim (Pauly-Wissowa, onzième
demi-volume, p.140-141), a démontré avec certitude que ce recueil
de maximes ne provient pas d’Épicure lui-même, mais d’un
Épicurien postérieur, encore qu’il ait été composé peu après la
mort du Maître, et, de façon il est vrai peu adéquate, à partir de
ses œuvres3. Du fait que ces maximes sont détachées du contexte,
on ne peut les utiliser qu’avec prudence, une prudence dont on
comprend aisément qu’on ne l’ait pas mise en œuvre dans
2 Cf. mon article : « Polystratos’ Schrift ‘‘Ueber die grundlose Verachtung der
Volksmeinung” », Neue Jarbücher für das klass.Altertum etc. 1909, p.487
sqq.
3 Crönert (Kolotes und Menedemos p.24) lit dans le Papyrus 1005, col.VII,
l. 18-19 : e0ce/lecen de\ (sc. Zh/nwn) kai\ e0k tw^n e0ngegramme/nwn (Kuri/wn docw=n
e0ni/aj). Si cette restitution est exacte, Zénon lui non plus n’aurait pas
attribué le recueil à Épicure, et aurait tenu pour nécessaire d’opérer un tri.
176
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
177
CORPUS, revue de philosophie
5
Lorsque Kaerst, dans son excellent livre Hellenististiches Zeitalter II1 p.110,
dit d’Épicure : « Aucun droit n’existe par nature, mais n'est institué que
par des lois déterminées, qui procèdent des contrats » etc. (Alles Recht besteht
nicht von Natur, sondern wird erst durch bestimmte Gesetze, die aus den
Verträgen hervorgehen, geschaffen) etc., c’est qu’il a interprété, comme
nous le verrons, l‘opinion d'Épicure de façon entièrement erronée. Déjà la
Sententia Selecta qu’il cite lui-même, aurait pu le convaincre du contraire.
6 De même, Maxime 15 (cf Us.fr.202), o9 th=j fu/sewj plou=toj est opposé à
celui tw=n kenw=n docw=n, et Maxime 29 (cf. 30) ai9 fusikai\ e0piqumi/ai à celles
para\ kenh\n do/can gino/menai.
178
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
179
CORPUS, revue de philosophie
7
Sur le temps, vide infra, note 10.
180
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
me\n fu/sei a0ki/nhton kai\ pantaxou= th\n au0th\n du/namin, w3sper to\ pu=r kai\
e0nqa/de kai\ e0n Pe/rsaij kai/ei ta\ de\ di/kaia kinou=mena o9rw=sin. Mais, dit
Aristote, il n’en est pas ainsi. Car ce qui est naturel peut aussi
être variable, comme, par nature, la main droite est la plus forte,
bien qu’il y ait aussi des a0mfide/cioi8.
Il n’y a donc jamais eu de justice absolue, au contraire la
Justice s’est, d’après la Maxime 33, formée dans les rapports
sociaux (e0n tai=j met’a0llh/lwn sustrofai=j). Puisque Épicure énonce
la thèse du Droit apparu naturellement, on peut fort bien admettre
d’emblée qu’il en juge de même à l’égard de la société humaine.
Quelques affirmations de ses adversaires paraissent s’inscrire en
faux contre cette idée. Mais, dans leur totalité, elles ne contiennent
aucune citation tirée des œuvres d’Épicure. Ainsi lorsque Lactance,
Div.Inst. III, 17, 42 (Us. fr.523), affirme : Dicit Epicurus … nullam
esse humanam societatem ; car l’adjonction sibi quemque consulere
fait apparaître la première proposition comme une conclusion de
Lactance. La phrase d’Arrien, Epict.dissert. I, 23, 1, e0pinoei= kai\
0Epi/kouroj, o3ti fu/sei e0sme\n koinwnikoi\, se présente bien comme une
citation littérale tirée des œuvres d’Épicure. Aussi lorsque nous
lisons, ib.II, 20, 6 (Us. fr.523) : ou3tw kai\ 0Epi/kouroj, o3tan a0nairei=n
qe/lh| th\n fusikh\n koinwni/an a0nqrw/poij pro\j a0llh/louj ktl, cela ne
peut signifier : « lorsqu’il la nie », mais : « lorsqu’il veut la supprimer »,
par exemple par des thèses telles que ou0de\ politeu/esqai to\n sofo/n.
Ce qui est sûr, c’est qu’Hermarque, cité dans Porphyre de [295]
Abstin. I, 7 (p.89, 22 sqq Nauck), parle également d’une affinité
naturelle qui lie les hommes entre eux, en raison de leur
ressemblance physique et morale, et aussi bien lui que Lucrèce
dépeint la condition primitive des hommes comme barbare sans
doute, mais non comme antisociale.
8
J’ai tenté de montrer, loc. cit., que Polystrate polémique ici contre les
Cyniques, qui, d’après les exemples qu’ils utilisent (pierre, or, et autres
semblables), se rattachent à certains Sophistes. L’exemple d’Aristote (pu=r)
se rencontre chez Sextus Empiricus. Il doit donc remonter plus haut que
les Sceptiques. La question reste posée de savoir si Aristote s’en prend ici
aux Sophistes ou également aux Cyniques. Peut-être faut-il penser à la
République de Diogène.
181
CORPUS, revue de philosophie
182
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
« sunqh/kh [296] tij u9pe\r tou= mh\ bla/ptein h2 bla/ptesqai. » Nous lisons
déjà dans Platon, Rép. II 2, 358e-359a, que certains penseurs
voient dans des pactes visant à éviter les dommages mutuels
l’origine et l’essence de la Justice. Aristote (Pol.III, 9, 1280b sqq)
paraît faire allusion aux mêmes penseurs lorsque, cette fois encore
en accord, et au-delà, avec Épicure, il leur fait dire : gi/netai ga\r
h9 koinwni/a summaxi/a tw=n a1llwn to/pw| diafe/rousa mo/non : kai\ o9 no/moj
sunqh/kh kai\, kaqa/per e1fh Luko/frwn o9 sofisth//j, e0gguh/thj a0llh/loij
tw=n dikai/wn9. Il pourrait donc sembler qu’Épicure aussi ait considéré
que le Droit repose partout et originellement sur un pacte, comme
l’admet Gomperz Griech.Denker I2 317. On doit cependant d’abord
signaler, ici encore, qu’Épicure (comme les sources de Platon)
parle non du di/kaion, mais de la dikaiosu/nh. Comme le montre le
contexte, il s’agit de l’attitude de l’individu envers la communauté
juridique historiquement constituée dans laquelle il se trouve.
Mais dans celle-ci le Droit Naturel, comme nous le montrerons
plus amplement d’après Épicure, s’est transformé en Droit Positif
et a donc reçu le sceau du contrat10. Il convient ensuite de
remarquer le tij qui accompagne sunqh/kh11. La Justice est « une
sorte de contrat ». Si le Droit originel reposait déjà sur un contrat,
il serait qe/sei et non fu/sei, ce qui contredirait nos développements
précédents. Mais nous verrons qu’Hermarque, assurément d’accord
avec Épicure, enseignait que les hommes avaient, non sans
inconstance il est vrai, observé les préceptes du Droit, avant que
des Sages eussent fait instituer les lois. Lucrèce, V, 1019sqq, dit
également que, dès avant l’introduction du langage, les hommes
9
Je ne suis pas sûr qu’il résulte des paroles d’Aristote, comme le pense
Nestle, Neue Jahrb. 1909, p.11, que Lycophron ait lui aussi défini la loi
comme sunqh/kh.
10 Le h]n, il est vrai, surprend. Il peut s’agir du temps utilisé pour la définition
depuis Aristote, ou d’un renvoi à la conclusion d’une discussion précédente.
Mais peut-être cette phrase est-elle empruntée à une discussion sur l’origine
de la Justice ; la sunqh/kh correspondrait alors à l’état préhistorique, tel que
nous le trouverons plus bas dépeint chez Lucrèce.
11 Aristote dit lui aussi, avec plus de précision, Rhét. I chap.15, 1376a9 : kai\
o3lwj au0to\j o9 no/moj sunqh/kh ti/j e0stin.
183
CORPUS, revue de philosophie
12
C’est dans un contrat tacite de ce genre (sunqh/kh kai\ o9mologi/a) que, d’après
Socrate (Platon, Criton 52e), le citoyen se trouve engagé vis-à-vis des lois
de son État. Si Kaerst, Hell.Zeitalter, p.1091, n’avait pas escamoté l’exposé
de Lucrèce, et s’il avait tenu compte de celui d’Hermarque, il n’aurait pas
méconnu le caractère de ce quasi-contrat, qui n’avait à l’origine rien
d’absolument obligatoire, mais ne le devint que par l’institution des lois,
devenant alors un véritable contrat. L’ordre juridique apparaît, d’après
Épicure, comme le langage, par des voies naturelles ; ce n’est que plus
tard qu’ils reçoivent tous deux le sceau du conventionnel.
184
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
185
CORPUS, revue de philosophie
186
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
14 C'est ce que Gomperz n’a pas vu, loc.cit. I2, 359. Cf. NESTLE, Politik und
Aufklärung in Griechenland, Neue Jahrb. 1909, 1, p.4.
187
CORPUS, revue de philosophie
ainsi dans la Lettre à Ménécée 133 (Us., 65, 10) : to\ de\ par’h9ma=j
a0de/spoton, w=| kai\ to\ mempto\n kai\ to\ e0nanti/on parakolouqei=n pe/fuken.
De même Plutarque dit (De Stoic.Rep.34,1050c = Us. fr.378)
qu’Épicure a cherché à affranchir le libre-arbitre du mécanisme
perpétuel u9pe\r tou= mh\ katalipei~~n a0ne/klhton th\n kaki/an. C’est ce que
confirme encore Diogène d’Œnoanda, fr.XXXIII, col.III, 9sqq : to\
de\ me/giston : (argument en faveur de la déclinaison de l’atome)
pistwqei/shj ga\r ei9marme/nhj ai1retai pa=sa nouqesi/a kai\ e0pitei/mhsij kai\
ou0de\ tou\j ponhrou\j (e0ce/stai kola/zein suppl. Usener). Si donc Épicure
jugeait qu’il était besoin du libre-arbitre pour pouvoir maintenir
la légitimité du blâme et du châtiment des malfaiteurs, il devrait
avoir attribué également au châtiment une fonction de représaille.
La théorie de l’intimidation n’a pas en effet besoin d’une telle
hypothèse. Le système présentait-il ici une contradiction, ou
Épicure combinait-il ensemble les différentes fonctions du châtiment
(comme cela arrive aussi dans les temps modernes), c’est une
question que nous devons laisser en suspens.
Si, maintenant, nous avons vu que, pour que leur efficacité
soit garantie, les lois sont accompagnées de prescriptions pénales,
Épicure est néanmoins très loin d’admettre que l’on ne doit
s’abstenir d’agir injustement que par peur du châtiment. Cela
vaut, il est vrai, pour les gens privés de raison, pour [301] la
grande masse, mais jamais pour les Sages15. Hermarque, le
successeur immédiat d’Épicure, dont nous ne pouvons guère
supposer qu’il s’écarte du Maître dans une question si importante,
nous en donne le témoignage. Il dit dans Porphyre, loc. cit.
chap. 7 (90, 1sqq Nauck) : oi9 me\n parakolouqh/santej tw=| sumfe/ronti
tou= diori/smatoj ou0de\n prosedeh/qhsan a1llhj ai0ti/aj th=j a0neigou/shj
au0tou\j a0po\ th=j pra/cewj tau/th=j : oi9 de\ mh\ du/namenoi labei=n ai1sqhsin
i3kanhn tou/tou to\ me/geqoj th=j zhmi/aj dedi/otej a0pei/xonto tou= ktei/nein
15
Von Arnim lui aussi, dans Pauly-Wissowa, p. 1543-4, dit, de façon trop
vague : « Nous devons être justes, en partie par peur, en partie par un
calcul avisé des avantages qui s’y attachent ». L’homme raisonnable ne
doit l’être que pour la seconde raison. Il écrit à juste titre plus bas, ligne
63 : « Mais il est vrai que seuls les Sages pratiquent l’égoïsme avec tant de
virtuosité ; c’est pourquoi les lois sont nécessaires. »
188
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
16 Porph. loc. cit., p. 91, 2sqq : i9kanh\ ga\r h9 tou= xrhsi/mou kai\ blaberou= qewri/a tw=n
me\n fugh\n paraskeua/sai, tw=n de\ ai3resin : h9 de\ th=j zhmi/aj a0nia/tasij pro\j tou\j
mh\ proorwme/nouj to\ lusitelou=n.
17 Platon dit encore dans les Lois 875c de l’i9kano\j a1nqrwpoj : no/mwn ou0de\n a2n
de/oito tw=n a0rcon/twn e9autou=. Kaerst lui aussi (Hellen. Zeitalter p. 106) a mal
compris la formule d’Épicure.
189
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20
J'ai sous-entendu une addition à ta\ du/n ata d’après le ta\ e1cwqen qui
précède. Je ne nie cependant pas que l’on puisse comprendre également
dans ces mots les fu=la du propre territoire du législateur, [305] fu=la que
celui-ci cherchait à rassembler autant qu’il était possible pour la résistance
contre les ennemis de l’extérieur. Il faudrait alors voir peut-être dans les
ou0k a0llo/fula des occupants plus anciens du territoire, comme les
périèques de Sparte.
193
CORPUS, revue de philosophie
21 Les trois derniers de ces supports de l’a0 taraci& a sont réunis dans la
Maxime 13 : Ou0qe\n o1feloj h]n th\n kat’a0nqrw/pouj a0sfa/leian kataskeua/zesqai
tw=n a1nwqen u9po/ptwn kaqestw/twn kai \u9po\ gh=j. – Il est curieux de constater
combien est proche du point de vue d’Épicure une formule de Schiller qui
repose bien entendu sur d’autres présuppositions : « Nous pouvons faire
de l’homme un demi-dieu, en cherchant par l’éducation à lui ôter toute
crainte. Rien au monde ne peut rendre l’homme malheureux, sinon
purement et simplement la crainte. »
194
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
22 Comme nous le verrons, Épicure a par là, selon les excellentes explications
de von Arnim, consommé, à la suite de Platon et d’Aristote, et en
opposition à Nausiphane en particulier, le divorce entre philosophie et
rhétorique.
23 Que tout art doive présenter ces caractères, c’est ce qui ressort de Suppl.
p.34, 17 sqq et 35, 1 sqq.
24 Puisque d'après Epicure la politique ne saurait être un art, il ne peut avoir
parlé d'un r9ht / wr e1ntexnoj.. Peut-être e1np(rak).toj (O e0ni ….=oj). Cf Sudh.1,
226, 2 e0(mpra/k)tou dikaiosu/nhj.
195
CORPUS, revue de philosophie
25
C'est à cela qu’a trait aussi la maxime 14, quelque peu obscure dans l’état
de la tradition : À la sécurité qui nous a été dévolue jusqu’à un certain
point vis-à-vis des hommes (du fait des institutions juridiques) sert dans
une certaine mesure de support (e0ce/reisij h@ Us.) ou de source la plus pure
la sécurité qui naît d'une conduite paisible et de l’isolement à l’écart de la
foule
196
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197
CORPUS, revue de philosophie
26
Il s’est lui-même abstenu de la fréquentation des Cours. C’est peut-être à
lui qu’il faut rapporter un fragment de la Rhétorique de Philodème (Sudh. I,
226 fr.2) : … e1gnwmen to/pouj u9pe\r th=j e0mpra/ktou dikaiosu/nhj kai\ th=j a1llhj
a0reth=j e1xwn diabebaiome/nouj, < e0c ?> w[n ta0nantiw/tata toi=j pragmatoko/poij
parakolouqei= : ou0de\ ta\ deu/tera plousi/ouj le/gwn o9 mhde\ basileu=sin e0ntugxa/nwn
mhde\ dh/moij, i3na mhde\ di’a0na/gkhn tou=to poh=| tw=n r9hto/rwn o3lon to\ bi/on qwpeu/ein
u9pomeno/ntwn. …
198
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
II.
Les fragments qui nous sont parvenus des œuvres de
Métrodore sont extraits, pour autant qu’ils concernent notre
objet, de quatre livres : le peri\ filosofi/aj, le premier Livre du peri\
poihma/twn, la Lettre à son frère renégat Tïimocrate, et surtout
l’ouvrage polémique pro\j tou\j a0po\ fusiologi/aj le/gontaj a0gaqou\j
ei]nai r9h/toraj, lequel est dirigé principalement, comme nous le
verrons, contre Nausiphane. Ces passages se rapportent moins
aux questions de Droit Public qu’à l’attitude des philosophes
envers la politique ; ils sont néanmoins importants dans la
mesure où ils confirment entièrement l’interprétation qui a été
donnée dans la précédente section de la position d’Épicure à
l’égard de ces questions.
De manière encore plus décidée que son maître, et avec la
façon qui lui est propre de pousser les antithèses à l’extrême,
Métrodore repousse pour le Sage la participation à la vie
publique. Ainsi dans les passages de la Lettre à Timocrate (Koerte,
Metrodori fragmenta Leipzig 1890, n° 39-41) où il use de
l’expression hardie : Il n’importe pas d’assurer le salut des Grecs
ni d’obtenir d’eux la couronne de vainqueur dans un concours de
sagesse, mais de manger et de boire, pourvu que ce soit – comme
il ajoute, pour éviter tout malentendu – sans dommage pour le
corps et de façon agréable. Il est dit de même dans Plutarque,
199
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passage de Métrodore, et les a ainsi prises pour base de ses exposés qui
viennent ensuite.
29
Cf. ma Dissertation de Berlin, 1881, De Philodemi libro, qui est peri\ shmei/wn
kai\ shmeiw/sewn, p. 34-35.
30 On trouve encore des indices en faveur de l’attribution à un ancien
Épicurien dans la tolérance du hiatus, plus étendue que chez Philodème,
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de la masse, lois qui décidaient de tuer sans merci tout ce qui est
nuisible et d’épargner tout ce qui est utile à la destruction des
précédents.
Le passage suivant traite alors en particulier de l’utilité
qu’il y a à tuer les bêtes. Même les bêtes inoffensives doivent être
tuées, du fait que leur grande prolifération les rendait et les rend
nuisibles, pour autant qu’elles ôtent ainsi à. l’homme sa nourriture.
On doit enfin contenir dans certaines limites les animaux
domestiques, qui servent à notre subsistance, et anéantir les
animaux sauvages.
Il traite pour finir au chapitre 12 des prescriptions concernant
la consommation de la viande. Ce sont encore l’utile et le nuisible
qui servent de points de vue déterminants pour distinguer ce qui
peut être mangé et ce qui ne doit pas l’être. Il combat avec la plus
grande vivacité l’idée que la moralité et la justice (kalo/n et di/kaion)
se règlent partout sur des opinions particulières, autrement dit
qu’il n’y a pas de koino\n kalo/n ni de koino\n di/kaion.
Les adversaires qui soutiennent cette these sont les mêmes
que ceux que combat Polystrate dans son œuvre précédemment
mentionnée et en qui je crois reconnaître les Cyniques, les
mêmes que ceux que déjà, me semble-t-il, réfutait Épicure
(cf. supra). Ils se voient opposer ici la même analogie que celle
dont use Polystrate : les règles d’hygiène, qui sont elles aussi
pour une part universelles, pour une part speciales : Kai\ ga\r ta\
paraplhsi/wj e0farmo/ttonta pa=sin ou0 kaqorw=si/n tinej. Il y a donc
des lois de validité universelle, comme nous l’avons vu d’après la
Maxime 36 ; or les uns les négligent, en les tenant pour a0dia/fora.
Ce sont les Cyniques qui sont visés à nouveau ; cf. Porph., I, 42
(118, 44) o4 dh\ kalei=n ei0w/qasin oi9 Kunikoi\ a0dia/fora et DIOG. VI, 105 :
ta\ de metacu\ a0reth=j kai\ kaki/aj a0dia/fora le/gousin (oi9 Kunikoi/).
D’autres – et ici ce sont les Pythagoriciens et Empédocle qui sont
visés – commettent l’erreur inverse : ils tiennent pour utile en
tout lieu ce qui ne l’est pas universellement et usent de pratiques
qui ne leur conviennent pas s’ils voient qu’[3I9] il y a de telles
pratiques qui présentent une utilité universelle. C’est ainsi que
nombre de peuples s’abstiennent de tuer les animaux et de
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III.
Après Polystrate, dont l’ouvrage lui-même ne nous a été
conservé que par un coup de chance, s’ouvre une lacune de près
d’un siècle. Des trois scolarques suivants en effet : Dionysos,
Basilide, et Apollodore, écrivain fécond, il ne nous est rien resté.
Nous sommes d’autant mieux renseignés sur Zénon de Sidon et
ses disciples. Les relations personnelles de Cicéron avec eux font
en effet supposer que leurs écrits sont [321] les sources principales
de son exposition de la doctrine épicurienne, et la villa d’Herculanum
nous a livré dans leur majorité les œuvres de Philodème, qui
à leur tour sont pour une part des reproductions des cours de
Zénon.
Parmi les œuvres de Cicéron celle qui est de la plus haute
importance pour notre usage est le premier Livre du De Finibus,
dans lequel il a utilisé d’après Usener (p. 264) le résumé d’un
Épicurien récent de ses amis, d’après Hirzel (Untersuchungen zu
Ciceros Schriften II, 687sqq), Philodème34. De la justice, le défenseur
de l’épicurisme dit en effet dans ce livre, qu’elle ne peut pas plus
que les autres vertus être séparée du plaisir. De l’argumentation
qui suit à l’appui de la thèse qu’elle est une source de plaisir, je
retiens l’idée centrale que dans ce que son essence a de plus
intime elle apaise les cœurs, alors que l’injustice, avant même de
passer aux actes, fait perdre la paix de l’âme35. L’allusion à la
crainte du châtiment, et à celui-ci même une fois l’acte accompli,
ne fait bien entendu pas défaut. Mais au §51, parmi les
conséquences de l’injustice, à coté de la pœna legum, il est fait
aussi allusion à la conscientia facti et à 1’odium civium, et
34
À côté de Philodème, Cicéron (op. cit.II, 119) nomme cependant aussi
Sirmion.
35
Cf. Kur. Doc. 17 (O di/kaioj kai\ a0tarakto/tatoj o9 d’a1dikoj plei/sthj taraxh=j ge/mwn.
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36 Si je comprends bien les derniers mots, ils font écho à Télès (Hense p. 16,
13-14 : su\ me\n pollw=n kai\ h9bw/ntwn basileu/eij, e0gw\ d’o0li/gwn kai\ a0nh/bwn
paidagwgo\j geno/menoj kai\ to\ teleutai=on e0mautou= : et p. 3, 8 (d’après Bion
cf. ibid. p. XXX) : su\ me\n a1rxeij kalw=j e0gw\ de\ a!rxomai, fhsi/, kai\ su\ me\n pollw=n
e0gw\ de\ e9no\j toutoui=+ paidagwgo\j geno/menoj.
37
C’est là le thème du peri\ a0lo/gou katafronh/sewj de Polystrate. Nous voyons
maintenant pourquoi il se trouvait dans la bibliothèque de Philodème.
38 Cf. Hermarque, loc. cit. 90, 10sqq e3neka tw=n a0sullogi/stwn ei0j e0pilogismo\n
tou= xrhsi/mou katasth/santej a0lo/gwj au0tou= pro/teron ai0sqanome/nouj kai\ polla/kij
e0pilanqanome/nouj et 93, 9-10 e0pilogismo\n – ou0 mo/non a1logon mnh/mhn.
39 Il faut sans doute lire [su/]mfora au lieu d’[a0d]ia/fora, puisque les lois se
mesurent à l’utilité et qu’a0dia/fora n’est pas un terme épicurien.
216
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
40
Le point d’interrogztion doit être placé après la ligne 15.
217
CORPUS, revue de philosophie
41
59, 21 sqq ei0j a3pantaj ou0d’[[oi[o/n t’ei]]
[nai th\n u9]po/lhyin. [h9mei=j de fa-_]
[men kaq &]ou3sper [to/pouj e0k]
[tw=n a0]nwta/tw [xro/nwn ta\
[paro/m]oia toi=j te (ou ge) [peiqome/-]
[noij] kai\ toi=j dun[ame/noij]
th\n fu/sei dikai/ou k[ai\ ka-]
lou=] xw/[r]an e1xein.
Cf. la leçon II p.XXI, Sudh.: a0di/-kou, mais on trouve ta\ e0nanti/a dans la suite.
218
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
219
CORPUS, revue de philosophie
220
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
43
« ta0ko/louqa » = Sudh.II, 31, 1 (exigé par sunewrakw/j).
221
CORPUS, revue de philosophie
44 De même 227, 3 0All’ou}n a1n Periklh=n mh_ le/gwmen a0nekto_n polei/thn, ou0k oi}da,
ti/na tw=n e0n toi=j a1stesin a0gaqo_n e1legen ei}nai.
222
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
IV.
L’analyse des passages des écrits épicuriens relatifs à
notre objet a prouvé que les vues fondamentales du [331] Maître
sur l’État et l’attitude du philosophe à son égard se retrouvent
sans altération chez ses successeurs. Du développement même
de la théorie, dont pour une part nous n’avons pris connaissance
en termes exprès que par des sources récentes, nous trouvions
déjà l’amorce dans des fragments des œuvres du chef de l’École,
si bien qu’on doit le considérer pareillement comme procédant de
celui-ci, d’autant plus que la Rhétorique de Philodème repose
pour une bonne part sur des œuvres d’Épicure et de Métrodore.
223
CORPUS, revue de philosophie
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Olivier Bloch traduit Robert Philippson
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Olivier Bloch traduit Robert Philippson
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CORPUS, revue de philosophie
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Olivier Bloch traduit Robert Philippson
229
CORPUS, revue de philosophie
V.
[337]
J’ai déjà signalé à l’occasion les points d’accord entre
Épicure, dans ses conceptions de Philosophie du Droit, avec
d’autres penseurs. Jusqu’à quel point il se rattache dans ce
domaine à des prédécesseurs, c’est une question à laquelle je ne
me risque pas à répondre dans toute son étendue. Je voudrais
seulement, en guise d’appendice, préciser ses rapports avec
Démocrite et son École.
Hirzel a été le premier à tenter, dans la première Partie de
ses Untersuchungen zu Ciceros philosophischen Schriften, d’apporter
contre Zeller la preuve qu’Épicure a pris Démocrite pour point de
départ non seulement dans sa Philosophie de la Nature, mais
230
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
47 L’affirmation d’Épiphanias (A 166) : e0pi/noian ga\r kakh\n tou\j no/mouj e1lege kai\
ou0 xrh\ no/moij peiqarxei=n to\n sofo/n, a0lla\ e0leuqeri/wj zh=n, ne peut donc être
exacte, ou du moins la fin tout au plus peut l’être en ce sens que le Sage
n’a pas besoin de lois, opinion que nous avons trouvée chez Épicure, et
que nous trouverons chez Délmocrite.
231
CORPUS, revue de philosophie
celui-ci, Démocrite pose que l’on doit éviter le mal, même si l’on
passe inaperçu ; seul le motif, la honte intérieure, serait rejeté
par le premier. Comme Épicure il célèbre le bonheur qu’il y a à
appartenir à un État bien administré (Maxime B.252) : po/lij ga\r
eu] a0gome/nh o1rqwsi/j e0sti, kai\ e0n tou/tw| pa/nta e1ni, kai\ tou/tou sw|zome/nou
pa/nta sw/|zetai kai\ tou/tou diafqeirome/nou ta\ pa/nta diafqei/retai.
Qu’il ne soit pas loin pourtant du la/qe biw/saj d’Épicure,
c’esi ce que montre le fragment 3 : To\n eu0qumei=sqai me/llonta xrh\ mh\
polla\ prh/ssein mh/te i0di/h| mh/te cunh=|.
L’essentiel est cependant qu’il limite, comme Épicure, la
fonction des lois à empêcher les dommages mutuels. La Maxime
B.245 dit en effet : ou0k a2n e0kw/luon oi9 no/moi zh=n e3kaston kat’i0di/hn
e0cousih/n, ei0 mh\ e3teroj e3teron e0lumai/neto (= mh\ bla/ptein a0llh/louj).
Il s’accorde encore avec lui en ce que l’homme raisonnable
n’a pas besoin des lois pour agir avec justice (Maxime B.181). Il
se tourne de même contre Empédocle et les Pythagoriciens en
avançant que la destruction des bêtes nuisibles n’est pas
coupable et contribue à l’intérêt général (Max.B.257). Et il justifie
également ainsi la destruction des hommes s’ils sont ennemis
(Max.258-260).
Comme Métrodore, cité dans le peri\ oi0konomi/aj de Philodème,
il recommande la bonne tenue du train de maison, comme dans
ce passage il vante les mérites d’une aisance modérée. Il rejoint
Épicure dans la répugnance à l’égard du mariage et de la procréation
(cf. A.170 et B. à plusieurs reprises). Il s’élève cependant au-
dessus de lui en reconnaissant que les tendances sympathiques
sont la meilleure garantie pour l’accomplissement des fonctions
de l’Etat (B.255 et 261). Cette fonction de l’État repose cependant
bien, chez lui aussi, non sur les exigences du bien public, de la
po/lij, mais sur les intérêts particuliers.
Il me semble donc que l’accord des deux philosophes en ce
domaine porte sur l’essentiel. Les divergences sont orientées dans
le même sens que celles qui séparent leurs théories éthiques, et
peuvent s’expliquer à partir de là.
Il reste cependant encore un point à discuter. Si nous
avons trouvé des concordances fondamentales entre Épicure et
Démocrite dans leurs conceptions dogmatiques du Droit, une
232
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
233
CORPUS, revue de philosophie
ceux o3soi mh\ panta/pasin to\n Prota/gorou lo/gon le/gousi (172b). Que
Protagoras ait philosophé sur l’a0kou/sioj fo/noj de la même façon
qu’Hermarque, le fragment A 10 (Diels) nous l’apprend.
Puisqu’il est donc indubitable qu’Épicure s’appuie sur les
théories de Protagoras que rapporte Platon, la question se pose
de savoir comment celles-ci lui ont été transmises. À moins que
Platon ne les ait librement imaginées, – ce que je ne crois pas –,
elles pourraient avoir été tirées d’œuvres de Protagoras qui
auraient également servi de source à Épicure. Or je tiens pour
vraisemblable que Protagoras a effectivement exprimé des pensées
semblables, peut-être [436] dans ses a0ntilogi/ai49. Etant donné
cependant le procédé de Platon qui consiste à combattre en même
temps des contemporains dans ses grands prédécesseurs, je crois
qu’il a emprunté à un tel contemporain le détail du développement
de ces pensées. Et je présume qu’il s’agit de Démocrite. Qu’entre
lui et Protagoras en effet il y ait des convergences aussi dans le
domaine politique, Nestle l’a mis justement en relief récemment
(Politik und Aufklärung in Griechenland, Neue Jahrb. XII p. 8).
Ainsi leurs idées sur la loi et le châtiment se ressemblent-elles.
Je crois trouver de plus un écho du mythe de Protagoras et de sa
théorie de 1’introduction des lois chez le démocritéen Anaxarque.
Lorsqu’en effet celui-ci voulut consoler Alexandre de la mort de
Clitus, il développa l’idée que le roi est placé au-dessus des
opinions humaines, puisqu’il représente lui-même la source du
Droit. D’après Plutarque (Alexandre, chap.52), il disait Th\n Di/khn
e1xei pare/dron o9 Zeu\j kai\ th\n Qe/min, i3na pa=n to\ praxqe\n u9po\ tou=
kratou=ntoj qemito\n h0=| kai\ di/kaion, et chez Arrien Anab. IV, 9, 7, il
poursuit en termes semblables : kai\ ou]n kai\ ta\ e0k basile/wj mega/lon
gigno/mena di/kaia xrh=nai nomi/zesqsai prw=ta men\ pro\j au0tou= basile/wj,
e1peita pro\j tw=n a1llwn a0nqrw/pwn. Nous nous souvenons que dans
Platon, Protagoras fait de Di/kh et d’Ai0dw/ un cadeau de Zeus aux
hommes, et que d ’après Lucrèce les rois furent les premiers
introducteurs des lois.
49 Diels (p. 538, 1.7 note) a raison, me semble-t-il, d’admettre que peri\ th=j e0n
a0rxh=| katasta/sewj est un titre forgé ultérieurement.
234
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
235
CORPUS, revue de philosophie
236
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
50 Que seuls Nausiphane et ses partisans soient combattus dans cet ouvrage,
c’est ce que montrent les paroles de l’Hypomnèmatikon de Philodème
(Sudh., II, 242, 32) : toi=j ei0j tou\j peri\ Nausifa/nhn e1nprosqe parateqei=sin (à
savoir, par Métrodore).
51
Seules les col.XXIV, 16 – XXV, 8 combattent un autre adversaire, dont le
nom a disparu après les mots d’introduction : Kai/toi Nausifanei/oij o3moioj o9
lo/goj e0stin ... L’épisode se clôt nettement comme tel avec : 0All’ou3toj me\n
xaire/tw. Dans la partie conservée cet adversaire est d’abord caractérisé
par son refus de l’i9stori/a, refus qui, d’après 16, 12 et XXXVI, 4, s’introduit
chez Nausiphane de façon douteuse et seulement peut-être à l'occasion
de la polémique contre les Épicuriens, qui exigeaient pour les hommes
politiques la connaissance de l’i9stori/a Il est caractérisé en second lieu par
la thèse suivante : le Physicien peut persuader n’importe quel peuple
(XXV, l.6 [pei/q]oi a1n), tandis que Nausiphane exige que l’orateur tou=
plh/qouj katama/qoi tou\j e0qismou\j [439] (XXV l.18-19. Peut-être l’auteur de
cette contre-critique est-il Timocrate. La colonne 15 appartient-elle à cet
épisode, la question doit rester posée.
237
CORPUS, revue de philosophie
52 Texte de von Arnim p. 51. Cf. col. XXIII l.14 (Sudh. p. I7) et 8, 2 (p. 10)
tou=to o4 bou/letai h9 fu/sij.
53 Telle est la leçon que je préférerais, aussi près que possible de la graphie
|QEIN. Sudhaus : « pei/qesqai kai\ pei/qein ? », – von Arnim : h3desqai kai\ mh\
KAPH|
a0lgei=n, d’après XVII, 13sqq, où Philodème reprend ces mots. Mais kai\ mh\
a0lgei=n est trop loin de la graphie. Sur le a0paqei=n voir ci-dessous.
54 Cf. aussi col.XVIII, 14sqq (dans la réfutation de Philodème) : ei1te de\ kai\
tau0to\n a0ei\ tw=| fusikw=| te/loj doqei/h, pro\j o3ti sfrodro/tata w3rmhken (ce à quoi il
– Nausiphane – est enclin de la façon la plus décidée).
238
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
quel plaisir ni qu’on évite n’importe quel déplaisir, mais que l’on
soumette l’un et l’autre à la critique en considération de leurs
conséquences. Philodème, col.IX, 4sqq, dit de Nausiphane : th\n
dia/gnwsin w[n ai9rete/on kai\ feukte/on pro\j to\n politiko\n bi/on fe/rwn, et
Épicure lui-même [440] (loc.cit. 63, 13 sqq) : th=| me/n toi summetrh/sei
kai\ sumfero/ntwn kai\ a0sumfo/rwn ble/yei tau=ta pa/nta (h9dona\j kai\
a0lghdo/naj) kri/nein kaqh/kei. De la même façon Démocrite exige lui
aussi, d’après Stobée (Diels, 383, 45--6) diorismo\j kai\ dia/krisij tw=n
h9donw=n, exigence qui est confirmée par de nombreux fragments.
Mais cet accord s’étend plus loin encore du côté des
principes comme du côté des conséquences. Si j’ai eu raison de
restituer ka0paqei=n comme je l’ai fait ci-dessus, je crois que sous ce
mot n’est pas seulement compris le négatif mh\ a0lgei=n, mais un
état de bonheur positif. Que Nausiphane ait effectivement défini
comme te/loj l’a0kataplhci/a, nous le savons d’après le fragment
d’Apollodore (Diels p. 465, 41). Or nous lisons col.XXXI 2, à la
suite du passage où on parle du goût de Nausiphane pour
l’activité politique : ou0d’e1oiken (mais cela ne convient pas), ei1 tij
th=j h9suxi/aj e0piba/lletai qewri/a oudeni\ sunergou=nta. Cette théorie de
l’h9suxi/a doit correspondre à l’exigence de l’a0kataplhci/a et elle
trouverait son expression dans l’a0paqei=n évoqué ci-dessus. C’est
ainsi déjà que Nausiphane, d’après Apollodore (voir ci-dessus)
associait l’a0kataplhci/a à l’a0qambi/h de Démocrite, et celle-ci à son
tour ne fait qu’un avec le mot par lequel Démocrite désigne la
plupart du temps sa fin éthique, l’eu0qumi/h, l’équilibre spirituel
(cf. Natorp, Ethik des Demokrit p. 95). Et nous pouvons suivre
plus loin encore le développement de ce concept. Diogène-Laërce
(IX, 60) dit du disciple de Démocrite Anaxarque : ou[toj dia\ th\n
a0paqi/an … Eu0daimoniko\j e0kalei=to. L’élève de celui-ci, qui fut aussi le
maître de Nausiphane, Pyrrhon, donnait pour conséquence à son
doute l’a0taraci/a (Zeller III a4 p.505 A3) ou a0pa/qeia (ib.A5). Timon
lui aussi caractérisait cet état comme une vie r9h=sta meq’h9suxi/hj
(ib. A4). Ainsi donc les concepts, attestés pour Nausiphane,
d’a0kataplhci/a, d’a0pa/qeia et d’h9suxi/a s’avèrent être des héritages
issus de l’École de Démocrite et de Pyrrhon. Et étant donnée
l’admiration que, au témoignage d’Antigone de Carystos, il portait
à l’attitude d’esprit du second (Diels p. 462 l.36-7), on peut
239
CORPUS, revue de philosophie
240
Olivier Bloch traduit Robert Philippson
241
CORPUS, revue de philosophie
56 Von Arnim lit xrh=ma au lieu de ti, mais alors la ligne atteindrait 24 lettres,
alors que le maximum est de 21.
242
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CORPUS, revue de philosophie
246
Monique Vernes était une amie de Corpus, revue de
philosophie. Elle nous a quittés brusquement le 15 janvier 2013.
En hommage, nous publions ici une communication restée
inédite, prononcée au colloque « l’art de lire des philosophes » à
l’ENS de Lyon en 2011. Josiane Boulad-Ayoub a bien voulu nous
la communiquer, en assurant la mise en forme finale. Rappelons
les éléments principaux de son oeuvre : Jean-Jacques Rousseau.
De la critique de la philosophie à la philosophie politique, 1979 ;
Les antinomies de la justice (1965, Prix de la ville de Genève) ; La
ville, la fête, la démocratie. Rousseau et les illusions de la communauté
(1978, prix de l’Académie française) ; citons parmi ses dernières
contributions : « Jean-Jacques est-il mort à temps ? » (La Pensée,
n0 370), « L’impossible retour vers l’origine : la langue et la cité
grecques » (Duke University Press), « L’illusion cosmopolitique et
les grandes âmes cosmopolites » (Champion), God bless America ;
La tolérance est-elle une vertu politique ? PUL ; Aux fondements de
la représentation et La Révolution cartésienne, ces deux dernières
publications, aux PUL, en collaboration avec sa collègue Josiane
Boulad-Ayoub. Son dernier ouvrage, actuellement sous-presse,
est une anthologie critique du Dictionnaire d’économie politique de
Démeunier dans l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke, avec
une étude sur les Observations sur la Virginie de Jefferson.
248
Monique Vernes
OVIDE, ROUSSEAU,
LES BARBARES ET LE BARBARE
1 Georges Steiner, Errata. Récits d’une pensée, Paris, Gallimard, 1998 (trad.
française), p. 107.
2 Je cite la traduction de Danièle Robert, Tristæ, livre V, X, vers 37 et 38. In
Lettres d’amour. Lettres d’exil. Édition bilingue, Thésaurus, Actes Sud,
2006.
249
CORPUS, revue de philosophie
J’allais répondre et m’échauffer, quand une femme qui
était à côté de moi et qui n’avait pas ouvert la bouche, se
pencha à mon oreille et me dit tout bas : « Tais-toi, Jean–
Jacques, ils ne t’entendront pas. » Je la regardais, je fus
frappé et je me tus3.
3
J.-J Rousseau, Émile, O.C. II, p. 349. Les Œuvres de Rousseau sont citées
dans l’édition des Œuvres complètes, publiée sous la direction de Bernard
Gagnebin et Marcel Raymond, 5 vol., Paris, Gallimard (N.R-F-Bibliothèque
de la Pléiade), 1959-1995, respectivement notées O.C. I, O.C. II, O.C. III,
O.C. IV, O.C. V.
4
Les Rêveries du Promeneur Solitaire, O.C. I, p. 995 et 999.
5
Ovide, Tristae, livre V, 1, v. 13, 14.
250
Monique Vernes
L’exil
L’exil d’Ovide est imposé par Auguste, celui de Rousseau
se nomme Jean-Jacques, c’est une auto-exclusion.
Poète de la galanterie, Ovide avait chanté l’art d’aimer et
celui d’être aimé, il s’enivrait à la fois aux accents de sa poésie et
aux louanges qu’il recevait à Rome pendant la jeunesse d’Octave-
Auguste. Les Métamorphoses, qui rendent la vie aux beautés oubliées
de la mythologie grecque et dont les grandes pages appartiennent
à Rome, invincible et sacrée, s’achèvent par l’apothéose de Jules
César et le panégyrique d’Auguste. Ovide rend à son maître
Auguste les honneurs divins, il invoque les Bretons domptés, le
Nil obéissant, les Numides écrasés, Juba vaincu, César vengé. En
dépit de cet arc de triomphe, le dieu Auguste indiquait en l’an 8
au poète la route d’un exil sans dignité. Les critiques
s’interrogent sur les motifs de l’empereur et Ovide fait état de
deux raisons : « bien que deux accusations m’aient perdu, un
poème et une erreur, je ne peux parler de la faute qui concerne la
seconde ». « Je suis puni parce que mes yeux ont vu sans le
vouloir un fait répréhensible et mon seul tort est d’avoir eu des
yeux »6. Qu’a-t-il vu ? Nul ne le saura. Sans doute une action qui
nuisait à la réputation de l’empereur ou de sa famille. Faut-il
évoquer simplement la caducité des puissants ? La vieillesse
d’Auguste (comme celle de Louis XIV) s’enveloppe d’austérité, le
6
Tristes III, V, v. 49-52.
251
CORPUS, revue de philosophie
252
Monique Vernes
11 Tristes, V, X, v. 49-50.
12
Euximus Pontus, la mer étrangère bienveillante.
13
Ibid., v. 13.
253
CORPUS, revue de philosophie
254
Monique Vernes
255
CORPUS, revue de philosophie
20
Discours sur l’origine de l’inégalité, O.C. III, p. 167.
21
Ibid., p. 181.
256
Monique Vernes
Ces événements sont rares ; ce sont des exceptions dont la
raison se trouve toujours dans la constitution de l’État
excepté. Elles ne sauraient même avoir lieu deux fois pour
un même peuple, car il peut se rendre libre tant qu’il n’est
que barbare, mais il ne le peut plus quand le ressort civil
est usé22.
22
O.C. III, p. 385.
23
Ibid., p. 392-393.
257
CORPUS, revue de philosophie
L’éloquence barbare
Dans la cité antique, les citoyens agissaient les uns sur les
autres par un échange de signes visibles, par persuasion et
éloquence. Aussi y a-t-il une éloquence barbare qui consiste pour
Rousseau dans le Premier Discours à laisser la parole aux anciens
revenus parmi les modernes pour condamner leurs mœurs. La
prosopopée de Fabricius n’est pas un artifice rhétorique : dans la
deuxième lettre à Malesherbes24, parlant de « l’illumination de
Vincennes » Rousseau dit : « Il n’y eut d’écrit sur le lieu même
que la prosopopée de Fabricius ».
À Athènes, Socrate qui n’écrit pas, qui fait l’éloge du non-
savoir ; à Rome, Caton le censeur qui tonne contre le trafic des
noms de la vertu sont des figures de la barbarie vertueuse mais
la condamnation radicale de « la face pompeuse de Rome » revient
à Fabricius, consul général romain, célèbre pour sa pauvreté.
Lors d’un échange de prisonniers, il refuse les cadeaux (de
l’argent et un éléphant) que Cynéas, délégué de Pyrrhus lui
propose : « Ni ton argent, ni ton animal ne m’impressionnent ».
Rousseau utilise toute une série de locuteurs étrangers ;
il fait parler Fabricius qui cite lui-même Cynéas qui, à Rome,
« n’entendit point cette éloquence frivole, l’étude et le charme des
hommes futiles », Rousseau ajoute :
Ce n’est point en vain que j’évoquais les mânes de Fabricius ;
et qu’ai-je fait dire à ce grand homme que je n’eusse pu
mettre dans la bouche de Louis XII ou de Henri IV ? Parmi
nous, il est vrai, Socrate n’eût point bu la cigüe ; mais il
24
O.C. I, p. 1136.
258
Monique Vernes
eût bu dans une coupe encore plus amère, la raillerie
insultante, et le mépris pire cent fois que la mort »25.
25
O.C. I, p. 15.
26
Deuxième Dialogue, p. 841.
259
CORPUS, revue de philosophie
27
Troisième Dialogue, p. 926.
260
Monique Vernes
Paule-Monique Vernes
Université d’Aix en Provence
261
CORPUS, revue de philosophie
262
Corpus, revue de philosophie, a été créée en 1985 pour accompagner la publication des
ouvrages de la collection du Corpus des Œuvres de Philosophie en langue française,
sous la direction de Michel Serres, éditée chez Fayard de 1984 à 2005 puis publiée
à Dijon depuis 2008 par Association Corpus/Éditions Universitaires de Dijon.
La revue contient des documents, des traductions, des articles historiques et critiques. Son
lien avec la collection ne limite pas ses choix éditoriaux.
La revue est éditée par l'Association pour la revue Corpus (Présidente : Francine
Markovits. Bureau : André Pessel et Christiane Frémont). Depuis 1997, la revue est
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(CNRS), Philippe Hamou (U. de Lille 3), Thierry Hoquet (U. de Lyon II), Francine
Markovits (U. Paris Ouest), Barbara de Négroni (Classes préparatoires, Versailles),
François Pépin (l’EA 373 de Paris Ouest), André Pessel (IGEN honoraire), Jean Seidengart
(U. Paris Ouest), Michel Serres (Académie française), Patrice Vermeren (U. Paris VIII et
Centre franco-argentin, U. de Buenos-Aires)
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à l’Atelier Intégré de Reprographie
de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Dépôt légal : 2ème trimestre 2013
N° ISSN : 0296-8916